Pipin, un premier livre, un dernier concert

 

Tout arrive en même temps pour Ramon Pipin. Ramon Pipin, oh les filles oh les filles s’en souviennent encore mais il a tourné la page. Au Bonheur des Dames est devenu Odeurs, oui, c’est plus rance déjà. S’ensuivent des tas de réalisations d’albums, de musiques de films etc. je ne vais pas vous faire une nécro. Bref, Pipin qui s’appelle aussi Alain Ranval, a fait énormément de choses à part rocker sur scène. Pendant ma période pub, on a fait beaucoup de séances dans son studio Ramsès, on s’est toujours marrés et on est devenus potes, comment faire autrement ?
Et voilà-t-il pas qu’il décide de nous refaire — encore, car il l’avait fait il y a deux ans — trois concerts au Café de la Danse (à la Bastoche), messieurs-dames. C’est pas rien. Il nous sort de nouvelles chansons, gags, sketches en tout genre, et pendant ce temps, écrit l’histoire d’une jeune fille saute-au-paf qui pratique l’auto-enlèvement et le dépucelage aussi facilement que Pipin le torchage une chanson poilante.
On commence par quoi ? Le concert. Si je vous en parle, c’est parce qu’il reste encore une date mais gaffe, c’était blindé de chez blindé l’autre soir et je peux vous affirmer que le public a surkiffé. Deux heures et demie de spectacle hilarant avec quelques reprises, notamment de la porte de derrière (en fait non, la porte du jardin, qu’est-ce que j’insinue donc ?) pour entrer dans le vif du sujet si je puis dire et sans prémisses puisque ça démarre comme ça. Des compos tordues de 140 notes, comme les 140 signes des twitts, il appelle ça des twongs, et lecture de  twitts farfelus par un complice desprogien en diable.
Vers la fin apparaît une marionnette pipinesque, puisque c’est lui que Legan a modelé et qu’il fait danser au bout de ses ficelles : c’est drôle, mignon, touchant. Et un dernier morceau en feu d’artifice, standing ovation et le Génie de la Bastille qui vient voir ce que c’est que ce boucan de l’enfer.
   Puis le livre. Il s’appelle une jeune fille comme il faut, mais évidemment, c’est une jeune fille comme il faut être pour les faire tomber tous. Et ils tombent, les cons, principalement notre petit puceau, Fabien Gourniche, fils du flic à la retraite qui a libéré cette fille, Naja, prise en otage dans un bled paumé. Donc le môme boutonneux, tricotilomane, que ses parents ont eu sur le très tard (et peut-être sur le tréteau) tombe en amour avec cette bombe qui lui explose le cœur. Et pas que le cœur.
Désespoir des parents mais il n’y a rien à faire contre ça. Juste à constater, impuissants qu’ils sont, que leur futur hypokhâgneux (il va s’occuper des chevaux, imagine Naja) se met à d’autres tribulations, drogues, vol etc. Je ne vous raconterai rien des aventures abracadantesques de ces jeunes et de leur bande de nases, ni du père qui, bien qu’ex-flic, a la collectionnite aigüe pour les guitares les plus pointues mais se voit moucher, dans son échoppe préférée, par un jeune glandu qui fait une démo de dingue. Parfois, on se demande si Pipin n’a pas écrit certains passages avec son médiator.
Page 45 et suivantes attention ! Passage remarquable  à tous points de vue sur le laçage des lacets. Personne n’a jamais parlé des lacets comme ça, je vous jure que mes larmes commençaient à apparaître quand ouf, l’action déjantée est repartie de plus belle d’un coup de scooter.
Alors, plutôt que de vous trancher les veines ou de vous pendre dans le grenier de votre grand-mère devant la perspective du monde qu’on nous donne à voir et à entendre dans les médias, sacrifiez vos économies chèrement acquises pour ces deux moments de bonheur concoctées par Pipin le farceur qui, jamais, ne vous laissera tomber jamais.

Ramon Pipin Band in « the Worcestershire sauce tour » le 9 novembre au Café de la danse, détails ici.

Une jeune fille comme il faut de Ramon Pipin, éditions Carpentier, 2015. Illustration d’Olivier Legan. Préface extra de Tonino Benacquista. Postface (inattendue) de Pipin himself. 170 p. 18,90 €

Texte © dominique cozette.

103 mètres de Warhol !

 

Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris avec Warhol Unlimited présente pour la première fois en Europe l’œuvre intitulée Shadows, impressionnant ensemble de 102 toiles sérigraphiées sur une longueur de 103 mètres !

Commandée par un mécène, cette œuvre comportait d’abord 108 tableaux. Il n’y a pas d’ordre pour les présenter aussi le commissaire a-t-il choisi de les accrocher tels qu’ils apparaissaient.
Mais avant, on pourra découvrir ses portraits filmés, bouts d’essai, étoiles filantes d’une sensualité assez chaude, j’ai un peu loupé Lou Reed, désolée…

Voici la salle tapissée de vaches rouges et jaunes sur lesquelles sont exhibées des photos de la chaise électrique, « diponible en différentes couleurs, bleu, jaune, rouge » comme si c’était une promo.

Plus loin, les reconstitutions d’installation des produits Brillo ou Campbell Soup qui ne sont, bien sûr pas des installations originales, les boîtes ayant été pillées ou achetées aux fins d’expo.
Beaucoup de Jackie aussi, Jackie Kennedy bien sûr, la première dame à prêter son visage à ses portraits médiatiques, on les connaît mais on connaît moins l’émouvante série tirée de photos des obsèques de JFK où Warhol a isolé des images du visage de Jackie, mettant en valeur divers accidents d’impression, d’encrage qui attirent l’œil. Il ne les accrochera plus, par la suite.
Plus gai, le sujet des  fameuses fleurs, avec lesquelles Warhol a cassé la logique de l’accrochage en testant diverses façons non académiques de les présenter au public.

Après un passage auprès des Mao, plein de Mao, que des Mao, on pourra s’amuser dans la salle des ballons argent qui dansent dans la pièce comme autant de nuages, les Silver Clouds …

…avant de finir, sidérés, devant l’immense œuvre qu’est Shadows. Oui sidérée, fus-je, car l’expo est grandiose, plus que ce que je montre parcimonieusement et c’est toujours scotchant de retrouver la répétition récurrente des motifs qu’on croit connaître et qu’on redécouvre à chaque fois.

WARHOL UNLIMITED jusqu’au 7 février 2016. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. 11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris. Tel. 01 53 67 40 00
www.mam.paris.fr

Texte et photos © dominique cozette (et Pascale B.)

 

 

Un tout petit tour à Arles

Les Rencontres d’Arles bien qu’elles aient changé de direction restent un plaisir bien présent. Je ne vous propose qu’un survol minuscule, c’est trop énorme, c’est juste pour vous inciter à y aller des fois que vous vous tâtiez !
Bien que les travaux sur le site des Ateliers SNCF aient commencé, l’étendue des expositions reste grandiose et les expositions en elles-mêmes impressionnantes.

 

La première et la plus touffue s’appelle Total Records et on a envie d’y rester plus longtemps tellement il y a de pochettes exposées avec leur historique et déclinaisons, sans parler des censures, pochettes détournées ou redessinées par des particuliers quand les originaux étaient trop abîmés. (Mes images ne sont pas dans l’ordre de l’article).

Ça commence avec les disques Blue Note et de nombreux autres collections de jazz que ma génération a bien connus, accompagnés des grands tirages de la photo ou de leur planche contact.
Quand on passe à la pop, on découvre comment sont nées certaines pochettes mystérieuses (des photos de grenier ou de puces), comment en ont été plagiées d’autres (le nombre de bouches ou yeux en gros plans ! ).

 

 

Ci-dessus, une pochette scandaleuse des Stones pudiquement cachée à la vue sous un velour noir que bien sûr j’ai soulevé. Plus haut, le fameuse abbey road a donné lieu à beaucoup de détournements. Puis on retrouve les périodes Warhol, Goude, Mondino, les 80’s, les métamorphoses de Bowie, et tellement d’autres, c’est d’une richesse ! (Ci-dessous, pochettes refaites maison).

 

 

Une visite plus courte et amusante par Thierry Bouët appelée « affaires privées » montre sur de grandes photos des portraits de particuliers proposant à la vente sur le Bon Coin des choses assez bizarres comme ce cercueil que la grand-mère avait commandé pour elle avant de changer d’avis et de préférer l’incinération, mais dont aucun des descendants n’a voulu après sa mort.

 

Une magnifique expo avec de somptueux tirages immenses dont l’auteur, Markus Brunetti, ne veut pas dire comment ils sont retravaillés (tous les ciels sont identiques, notamment) et dont j’ai pris cette photo avant de voir que c’était interdit :

 

Les jeunes talent sont à l’honneur avec de bien beaux travaux. Moi qui adore les carnets, j’ai été servie avec ceux de Pauline Fargue. Mais il y a énormément d’artistes à explorer.

 

L’expo qui m’a le plus plu s’appelle « les Paradis, rapport annuel », paradis fiscaux bien sûr où les photographes, Paolo Woods et Gabriele Galimberti se sont faufilés pour réaliser un reportage de toute beauté et très argumenté que l’on retrouve dans un beau gros livre éponyme. C’est un travail politique qui montre l’opacité de ces no go zones, accompagnée des chiffres de ce cancer qu’est l’exil fiscal, les poses de divas de certains PDG, tous ces gens qui vivent complètement en dehors de notre réalité. Je vous en reparlerai en détail tant ce problème, fondement de toutes les crises, me paraît l’un des plus essentiels de notre époque.

 

Passons sur de nombreuses autres expositions pour finir par celle, rigolote, de Sandro Miller qui a demandé à son vieux pote Malkovitch de se grimer en icône de la photographie contemporaine. C’est ainsi qu’à l’aide de maquillage, perruque et accessoires mais sans trucages, il est devenu JPGaultier, Marilyn, les jumelles d’Arbus, le Mick Jagger de Bailey, Nicholson,Dali et autres Picasso. Très réussi !

 

 

 

Voilà…

C’est un très petit tour, j’en conviens. Vous pouvez aller voir le site officiel ici qui est imbitable, ou un article de Télérama qui vous conseille sur les meilleures expos.

Texte © dominique cozette

Jusqu'où iront les oiseaux

Je me perds en conjectures.
Déjà qu’ils pépient. Bon. En plus ils volent.  Ils se déplacent où ils veulent, parfois à des milliers de kilomètres avec un impact carbone frôlant le zéro.
Mais voilà que maintenant, ils peignent. Non !!! Si.
Peindre est un bien grand ou petit mot. Disons qu’ils font leur portrait. Autoportrait, selfie, appelez-ça comme vous voudrez mais force est de constater que l’œuvre que l’un d’eux m’a laissée sur une table, aujourd’hui, vaut bien ce qu’on voit à la FIAC quand, d’aventure, on s’y aventure.
Je trouve ça d’une délicatesse exquise et j’irai jusqu’à appeler cette série les fientarelles, comme on dirait les aquarelle ou, pour les plus imbibés, les vinarelles.

Texte et photo © dominique cozette

Montrouge, à nous la joie !

On n’a plus la Samaritaine où on trouvait tout mais on a le Salon de Montrouge et on ne perd pas au change. Les 60 artistes émergents de la sélection (sur 3000 dossiers) composent une étonnante mosaïque de tendances, techniques, inspiration diverses. Leur abord aussi est varié, parfois c’est immédiat, parfois il faut lire quelques lignes du cartel pour appréhender la pertinence de l’œuvre. Entre peinture, dessin, installations, photos, vidéo, on a le choix des armes. L’humour est bien présent aussi, qu’il soit morbide, léger ou caustique.
Au hasard de ce qui m’a marquée, les vagins carnivores de Stanislas Bor (photo), les délires algorithmiques de Julien Borel, les dessins acides de Clara Citron (photo), une vidéo hilarante sur le dopage des artistes de la Biennale de Venise et ses tubes à essais où sont conservés sang et urine des testés (photo), les boîtes à ossements de chats de Fleuryfontaine, le morbide piano où vous pouvez faire chanter des cadavres de souris de Nieto (photo), des peintures outrées très fiesta à Miami de Vincent Gautier (photo), d’autres videos où Yann Vanderme nous montre à quel point il n’aime pas plein de trucs comme le nudisme, fumer, les manèges…, les dessins d’une méticulosité extrême où tous les points de trame d’une affiche sont faits à la main de Clément Balcon, d’autres au rotring de Thomas Barbey, puis des tas d’autres choses dingues ou follement académiques.

Kenny Dunkan

Stanislas Bor

Nieto

Elia David

François Malingreÿ

Julie Luzoir

Jérôme Cavalière

Vincent Gautier

Que de belles œuvres que je vous conseille vivement d’aller voir dans le superbe Beffroi de Montrouge desservi par le métro Mairie de Montrouge et flanqué d’un super café-resto avec immense terrasse. Bref, un super bon moment à passer.
Pour en savoir plus, le site du Salon ici.

Texte © dominique cozette

Jérôme Zonder et ses jeux d'enfants

Une expo très particulière, un immense dessinateur à la Maison Rouge, à la Bastille.


J’avais déjà vu quelques œuvres de Jérôme Zonder dans ce même lieu, mais cette fois, il a investi TOUT le rez-de-chaussée, du sol au plafond, l’a noyé dans son univers de fusain, d’encre de Chine et de mine de plomb.

Et quand ce n’est pas une jungle de branches et de feuilles qui est représentée, c’est un mur de briques sans fin, des briques dessinées une à une, opiniâtrement, de façon réaliste. Le parcours a été modelé selon des chemins de traverse, des maisonnettes dans lesquelles on entre et même un boyau entièrement noir.

Vous l’avez compris, ce n’est pas un univers joyeux et coloré. Même s’il aime dessiner les enfants, ils ne sont pas toujours à mettre en présence d’autres enfants.

Un enfant qui empoigne la tête de son copain pour l’égorger, un trio sexuel entre gosses dans une chambre, et d’autres où ils tuent à coups de batte. Il y a aussi beaucoup de portraits extrêmement sensibles, touchants, jolis.

Mais l’horreur revient au galop avec ces chairs grises qui racontent les guerres, les camps, l’Algérie, la violence sous toutes ses formes.

Jérôme Zonder est né en 1974 et lorsqu’il est sorti des Beaux-Arts de Paris, il s’est mis au dessin avec une contrainte de taille : que du noir et blanc, jamais de gomme, de repentir, pas de limite dans les dimensions d’une œuvre.
Je ne peux vous montrer qu’un faible échantillonnage de son talent. Car il y a beaucoup de styles dans son travail. Des images enfantines, d’autres (nombreuses) réalisées au doigt, d’anciens dessins gigantesques faits de minuscules petites formes visibles de près, des photos redessinées, des dessins inspirés de la BD. Il a aussi réalisé des décors directement sur les murs. Mais il ne s’arrête pas là puisque ses dessins s’appuient sur de nombreuses références littéraires, sociales ou artistiques.

Si vous aimez le dessin, cette exposition est indispensable. C’est du grandiose à l’état pur !

Pardon pour la mauvaise qualité des photos : vous en trouverez de beaucoup plus précises sur de nombreux articles et sur le site que La Maison Rouge lui consacre : c’est ici, tout y est expliqué et largement illustré.
L’exposition Fatum se tient jusqu’au 10 mai 2015, n’allez pas pleurer après, je vous aurais prévenu(e)s !

Texte © dominique cozette

Karl Beaudelere, l'artiste qui touche sa bille

Qui se cache sous ces étranges masques ? Un artiste pas comme les autres, qui s’efface pour mieux s’incarner. Et comment mieux s’incarner qu’en se portraitisant à l’infini. L’infini du chiffre 8, son chiffre peut-être, adepte qu’il est de la numérologie. Mais aussi l’infini du trait de ses stylos bille dont il remplit les grandes feuilles de ses carnets de croquis, sortes de gribouillages emplissant peu à peu les blancs, surlignant les traits déjà faits pour créer les noirs, imprimant un itinéraire de courbes et de cercles qui, magiquement vont composer une tête. Et quelle tête !


La sienne ? Non. Celle de Karl Beaudelere, son nom d’artiste. Ces immenses faux autoportraits « gribouillés » de façon saisissante le représentent en somme très peu. Ils donnent l’image d’un homme âgé alors qu’il vient d’avoir cinquante ans. Mais son visage — qu’il dévoile sans problème dans la vie courante — son allure, son style cuir-punk et sa voix enjouée le classeraient plutôt parmi les jeunes quadras.
Pourquoi le masque ? Parce qu’il a repris la vie de Charles Baudelaire là où elle s’était arrêtée. Comme il le dit dans une vidéo, « je suis re-né à travers lui qui est peut-être moi ». Et comme il me le dit en riant « je suis un peu schizo, je ne sais pas si je suis sa réincarnation, je ne sais pas si je suis son entité, je ne sais pas si je suis Charles Beaudelaire mais quand je porte ce masque, vous parlez à Baudelaire, ou plutôt à KX17, sa réincarnation ».

A part ça, rien que du très normal, l’homme est direct, chaleureux et gai. Derrière lui, un portrait grand format, au stylo bille comme tous les autres mais entouré de fleurs aux couleurs vives. Parce qu’il avait rêvé qu’il ferait un portrait aux fleurs. Sinon, il continue de dessiner juste la tête qu’il voit dans son miroir, qui n’est pas forcément la sienne puisqu’elle change tous les jours. Et qui n’est pas forcément entière car il n’y a plus de place sur la page.

Au départ était le street art, le pochoir, pour remplir ses insomnies, dues à son grand chagrin d’amour. Puis il se mit au Bic et comme il était fauché, il a acheté des sacs de stylos au rabais dans un bazar à six sous. Heureusement que ce ne furent pas des feutres car ceux-ci s’effacent avec la lumière et le temps. Le stylo, c’est du costaud, du durable. De l’impressionné impressionnant.

 

Karl Beaudelere n’a pas la vision de ce qu’il va faire. De ce que ça va donner. De ce qu’il veut rendre. Il commence toujours par un œil. Et sa main tourne sur la page. Parfois ce sont plutôt des traits que des courbes, alors il dit qu’il fait du mikado. Le tout est de ne pas rater la dernière ligne droite ou ronde : s’il se plante pour mettre un dernier éclat dans le regard, si l’œil se ternit, c’est le dessin entier qui est fichu. Pas moyen de rattraper. Pas de repentir possible, on n’est pas dans la peinture.

 

Chez lui, que du grand format. Il est dans le geste ample, il faut que la bille se balade, qu’elle prenne ses aises sur les grandes étendues blanches, qu’elle ait le loisir d’aller, venir, passer, repasser encore.
Sa première œuvre, la rouge ci-dessous, est, avec les fleurs, atypique, car non seulement la tête semble posée sur un semblant de cou, mais encore elle est ornée. Notre Dame de la Garde, la belle Marseillaise qui a accompagné sa vie, a scellé ses premiers pas d’artiste. Et quelques vers du grand poète en ont composé le décor.

 

L’artiste avoue ne pas savoir dessiner. Il est autodidacte, n’a suivi aucune méthode, n’a copié aucun savoir faire, il ne sait exprimer son art que selon cette technique qui tient de la mission impossible. Il lui faut en moyenne un mois pour réaliser un portrait. Alors comment fait-il pour que ses traits de Bic donnent autant de finesse et de modelé à ses œuvres ? Comment ne perd-il jamais confiance, comment n’a t-il pas la tentation de zébrer ou de sabrer les visages ?

 

 

Ci-dessous le gros plan d’un autre portrait rouge qui rend compte de l’entrelacs des traits et de la finesse du processus créatif.

 

Vous pourrez voir l’expo jusqu’au 14 mars. L’artiste, lui, sera à l’expo jusqu’à demain, samedi 7, puis il rejoindra sa belle pour une nouvelle vie dans une nouvelle ville que la sienne. Avec son sac de billes au bout de ses stylos.

Karl Beaudelere du 3 au 14 mars 2015 à la galerie Routes, 53 rue de Seine 75006 Paris. Site de la galerie clic
Ici un article
sur lui paru dans Artension en 2014.

Texte © dominique cozette

Nina Childress, artiste vibrante

Je ne connaissais pas cette ex-punkette née en 61 à Pasadena, Californie, vivant actuellement à Paris, passionnée de clichés des années 50 qui représentent son fond de commerce, ayant beaucoup exposé partout. Après avoir étudié aux Arts Déco, elle fit partie du groupe punk Lucrate Milk puis du collectif des Frères Ripoulin (dont les deux principaux sont Pierre Huyghes et Claude Closky) connus pour leur appartenance à la figuration libre et aux graffiti. Et se mit à peindre dans ces mêmes années.

J’ai peu de doc sur elle mais ce que j’en ai appris et vu, c’est sa fascination pour les années 50/60 dont elle s’inspire depuis le début pour ses peintures et ses installations. Au CRAC de Sète sont accrochées des séries de tableaux copiés sur les Nudies américains, films sur les nudistes dans des situations de la vie courante en société comme jouer au ballon, prendre le thé. Ces tableaux, et deux très grands tirages de même facture, sont étonnants car on dirait qu’ils ont été conçus pour être vus avec des lunettes 3D, du fait des contours verts ou rouges des personnages. Une intense sensation de vibrations.

C’est entre l’impressionnisme et l’hyperréalisme, comme des photos bougées, c’est d’ailleurs réalisé d’après des captures d’écran, format écran. Le remarquable aussi est l’élégance des scènes car, malgré leur nudité, les personnages se tiennent bien, sont bien apprêtés, ont de bonnes manières. Les hippies n’ont pas encore fait leur apparition.

On peut voir des scènes de danse, d’immenses rideaux peints habillant les hauts murs du CRAC.

Il faut savoir aussi que Nina Childress a ses marottes, elle a peint beaucoup de Romy Schneider en Sissi, d’images de romans-photos et de scènes d’opéra. Pour se rendre compte de son foisonnement et de son éclectisme (créations criardes et géométriques, petits travaux très kitsch et pas forcément très jolis selon moi), il faut aller sur son site ici.

Cette exposition comporte trois autres belles artistes, Sylvie Fanchon avec « chair », Enna Chaton et ses impressionnantes photos et la mystérieuse Mirka Lugosi. A voir jusqu’en mai.

Texte © dominique cozette

Malaval, très mal…

Robert Malaval, j’ai vu ses tableaux pailletés, glamrock en diable au Palais de Tokyo en 2006, sûre de faire plaisir à ma petite-fille parce que bien clinquants. Plus des éléments de mobilier vandalisés par sa nourriture blanche, sorte de matière expansive qu’il avait inventée avant César.
Franck Maubert, écrivain, a bien connu cet artiste jusqu’à sa mort, en 80. Franck, alias Mao-mao, avait 20 ans, Malaval 35. Ils se sont rencontrés aux Halles, QG de la branchitude à l’époque du trou des Halles, de la finition de Beaubourg et de l’embrasement d’une société qui explosait de partout avec les expérimentations artistiques de tout poil, les drogues, l’alcool, les années Palace, les provocs en tout genre, l’avènement de la culture punk.
Un monde complètement dingue auquel Malaval, qui créchait dans un bunker sans fenêtre, sans douche, toilettes dans la cour, rue du Pont Louis Philippe, ne souscrivait pas vraiment. C’était un artiste maudit qui jouait avec la mort, essayant toutes sortes de substances autant pour créer que pour se détruire.
Le livre,  un « roman » dit la couverture, visible la nuit, raconte comme Malaval, asocial, a quitté l’école très tôt, puis tenté diverses choses pour éviter de bosser comme un con. L’art lui a permis de s’exprimer, aussi bien la musique (mixages créatifs dans son home studio)  que les installations, la peinture. Les galeristes, pas fous, reconnaissaient son talent et achetaient ses œuvres pour thésauriser. Le problème est que Malaval était incontrôlable, capable du pire quand il était défoncé. De plus, bien que très appréciées, ses œuvres se vendaient mal.

Franck Maubert, très jeune et naïf, passe beaucoup de temps avec lui, ils sont très amis, et il est parfois missionné par un galeriste pour le garder présentable. Il sait que Malaval peut claquer d’un jour à l’autre, il estime à 35 ans qu’il a bien vécu. Entre autres, il a élevé des chèvres et des vers à soie dans le sud, il a eu deux enfants et vécu deux ou trois amours, les dernières plutôt platoniques. Tous deux ont rencontré toutes les personnes qui ont fait les nuits parisiennes de ces années-là. Un de leurs fidèles amis était Jean-Marc Roberts, dit Mouche, l’écrivain et éditeur.
Le dernier baroud de Malaval fut une commande de la Maison de la Culture de Créteil, un environnement de béton et de triste banlieue nouvelle, où, dans une fosse, il créait au vu des gens du coin. Les amis parisiens ne venaient pas (c’est plus facile d’aller à Marrakech que de passer le périphérique) mais il a tenu bon, réalisant une trentaine  de grands formats dans ce lieu hostile. Lire l’article de JF Bizot
Puis en août 80, on n’a pas su quel jour, il s’est tiré une balle de 22 long rifle dans la bouche. Personne n’en a rien su. Son corps sans tête est resté là plus d’une semaine.
Même s’ils ont fait des bringues monstrueuses dont beaucoup de livres témoignent aujourd’hui, l’impression que donne le livre est d’une tristesse sans fin. Malaval n’était pas du genre à croquer la vie. Plutôt à la défier, et ce n’était pas une posture. Un livre passionnant pour qui s’intéresse au sujet.

Visible la nuit de Franck Maubert, aux éditions Fayard, 2014. 208 pages, 17 €
Voir une video de Malaval ici.

Texte © dominique cozette

L’au-delà Fontaine

Oui, pourquoi pas un article sur ce monument qu’est Brigitte Fontaine passée hier à Ivry ? J’étais face à elle, au deuxième rang, elle est impressionnante, sorte d’Iggy Pop décharnée, ravagée, vieille (ce mot n’est pas péjoratif pour moi) poupée branlante, avec une canne à pommeau d’argent, rock star tout en noir et cuir à casquette de caillera, les yeux aussi faits que ceux de la Gréco.
Le rideau s’ouvre sur la silhouette gracile de l’icône, jupe transparente en tulle noir, qu’elle change pour une blanche un quart d’heure plus tard, petite cape en cuir noir, mitaines bondage itou, lacées, pantalon ou leggins très ajusté et sortes de sandales-boots avec guêtres écrues. Cheveux longs et pendants. Grandes mains noueuses et élocution improbable, celle qu’on connaît aujourd’hui, qui slame en accord parfait avec celle d’Areski, monumental et impassible devant ses percus, son pupitre d’où il déclamera un beau texte de sa voix de grotte. Et un guitariste magnifique, silhouette noire et feu d’artifice de cheveux blonds qui jouent sur le fond noir, de même couleur que le liquide ambré qu’il sirote, du whisky, entre accords étirés et déchirements onduleux tendance psychédélique.
Et des textes. Les superbes et drolatiques textes de la poétesse, qui font rire très souvent, réfléchir ou s’émouvoir, intercalés par quelques paroles saugrenues de la Madelon ou, pour le guitariste pinkfloydien, de la bonne du curé.
Du très inattendu pour moi qui en était restée à ses chansons chantées, je ne l’avais d’ailleurs jamais vue sur scène, et là, j’ai adoré ! Très fort, spirituel,  gai, partageux, requinquant, différent et carrément géant.
Je vous mets ici en lien l’un de ses textes irrésistibles, bourré de l’humour de cette auteure hors normes, mis en ligne en 2011.

texte et photo © dominique cozette

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