La peau, les os, les tendons de Berlinde

Berlinde de Bruyckere est une artiste flamande, comme son nom l’indique. Son travail est sidérant car il se situe entre le réel et le monstrueux, le beau et le répugnant, le monumental et le fragile. Ses œuvres, en effet, sont réalisées principalement à base de cire et recréent de façon ahurissante les parties de corps qu’on voit chez le boucher quand il désosse un animal : entre la chair, le tendon, le muscle, les veines et l’os, le tout vaguement rosé, bleuâtre, beige mais surtout translucide comme parfois nos organes.


Je l’avais vue une première fois à Avignon, il y a quelques années, au Palais des Papes, avec ses chevaux accrochés au-dessus de nos têtes, des chevaux hyper réalistes et tellement ressemblants à ce qu’ils sont dans leurs souffrances et leurs blessures que c’en était douloureux. Pour garder en mémoire les millions de chevaux morts sur les champs de bataille. Il faut savoir que Berlinde de Bruyckere ne fait aucun mal aux animaux, elle récupère les animaux morts ou les peaux auprès de tanneurs.

 

Son père était boucher, sa mère fleuriste. Elle travaille beaucoup le végétal d’ailleurs mais c’est forcément moins ahurissant que les pseudo cadavres des êtres de chair et de sang. Je ne suis pas qualifiée pour vous parler du côté sacré ou religieux de son travail, je sais que son atelier est situé dans un ancien monastère et que son enfance a baigné dans le respect de la religion. Et pour contrebalancer, elle a insufflé une grosse charge érotiques à certaines pièces et à ses dessins qui nous ramènent à ce entre quoi nous balançons : eros et thanatos.

 

Outre la cire, elle utilise aussi le métal, les peaux et beaucoup les textiles, couvertures dont elle a recouvert ses archanges dans l’expo. Des couverture ou autres matières qu’elle laisse pourrir, se trouer, s’effilocher. Parfois aussi, beaucoup de très longs cheveux dont elle pare ses personnages pour cacher leurs visages.
A la fin de l’expo, très importante, magnifique, on a réservé une pièce où sont étalés les matières qui font ses œuvres car il est vrai qu’on meurt de ne pas pouvoir les toucher : ici, on peut les tripoter, les soupeser, les appréhender.

 

Si vous n’êtes pas loin de Montpellier, allez absolument voir cette artiste, elle est impressionnante, provocante et admirable.

Berlinde de Bruyckere au MO.CO de Montpellier jusqu’au 2 octobre 22.

Texte © dominique cozette

Alfreido Marceneiro in Foody Love

C’est un immense chanteur de fado qui, dit-on, a contribué à créer le genre. Immense. Il est né à Lisbonne en février 1891, (au dix-neuvième siècle !) et est mort à Lisbonne en juin 1982, à 91 ans donc. Cet artiste dont le chant fait pleurer, j’ai eu l’immense privilège de le voir chanter dans une toute petite boîte à fado du côté de Cascais ou Estoril, un 14 mai 1973. Je n’oublie pas car c’était mon anniversaire et que je l’aimais déjà depuis quelques, on avait six ou sept albums de lui grâce à la belle-famille portugaise de mon premier mari. C’est un bonhomme impressionnant, ça m’a fait le même effet que quand j’ai vu Brassens en vrai, une présence extraordinaire, une voix déchirante, une aura impressionnante. Il était accompagné de jeunes gens qui prenaient soin de lui car il était fatigué, il avait quand même 82 ans, mais, en insistant un peu avec mon portugais de cuisine, j’ai réussi à le convaincre de m’offrir cinq ou six fados. Quel émoi ! Quel honneur, quel souvenir inoubliable !
Pourquoi est-ce que je parle de lui, aujourd’hui ? Parce qu’en regardant une formidable petite série espagnole, Foodie Love, que je vous conseille fortement, qu’entends-je lors du cinquième épisode qui se passe dans un restaurant classieux aux recettes hyper-sophistiquées et terriblement subtiles (on en bave) servies en bouchées ou mini assiettes ? La voix de mon fadiste ! Je n’en revenais pas ! Qui le connaît, à part justement les connaisseurs, les Portugais plus très jeunes et quelques autres ? Et sa voix rocailleuse comme du Waits qui vient illustrer la séquence où les héros vont peut-être enfin s’avouer qu’ils sont amoureux, ça me laisse … sans voix. C’est dingue. Enfin, je trouve.
Vous pouvez et même devez écouter Alfreido Marceneiro ici (en concert), vous comprendrez l’amour que tout un peuple lui a voué.

Pour en revenir à la série Foodie Love (lien ici) , accessible en replay sur Arte, il raconte, en épisodes de 30 minutes et comme son nom l’indique, la rencontre à Barcelone de deux trentenaires cultivés qui ont pour points communs un certain appétit pour la bonne bouffe, les cocktails, les mets japonais mais aussi leurs secrètes blessures qui freinent leurs violentes pulsions à se jeter l’un sur l’autre. Ce n’est pas mièvre, au contraire, c’est drôle, pétillant, plein d’esprit, de finesse… Le désir affleure mais « s’enfuit de peur qu’il ne se sauve », comme chantait Jane, englouti par des considérations intérieures vite chassées par la remise à niveau de leur histoire d’amour qui « menace de naître » et de les rendre heureux. Il me reste encore deux épisodes mais je peux vous dire qu’une scène des plus torrides ne nous cache rien des possibilités d’accord entre deux corps en fusion. Hot. Les play lists sont aussi appréciables.

Texte © dominique cozette

Idéalisation & Clémentine



Idéalisation
, c’est le titre d’une chanson rigolote que j’avais écrite / composée / chantée sur mon inoubliable super 45T en 1967.
Ça racontait l’histoire d’une femme qui voulait insonoriser, araignéiser, démithridatiser, dérupturiser son mec, bref, il devient peintre en bâtiment pour la couvrir de blanc… (écouter ici)
Un jour, va savoir pourquoi, les Yesmen (Beni-oui-oui activistes du canular) s’en sont emparés pour illustrer un de leurs films. Mais plus pour le coup de trompette que pour le contenu du texte, je suppose.
Et puis voilà-t-il pas qu’une chanteuse cool que j’aime énormément — et dont j’avais déjà deux albums très sympas —  reprend cette chanson, à sa façon, très swinguante, dans son nouvel album !
Elle s’appelle Clémentine et a déjà publié vingt albums de style jazz, pop ou bossa avec des collaborations prestigieuses  comme Ben Sidran, Leo Sidran, Carlos Lyra, Marcos Valle, Roberto Menescal, Johnny Griffin, Niels-Henning Orsted Perdersen, Kenny Drew … et de nombreux grands musiciens japonais dont je ne connais pas les noms. Il faut savoir qu’elle a très vite été remarquée par Sony Music Japon qui lui a assuré une superbe carrière dans ce pays où elle est une icône. Elle y a vendu plus de quatre millions de disques ! Quatre millions !
Ce dernier album sur lequel elle a repris avec un immense talent Idéalisation (écouter ici) a été produit en France, avec un choix de titres pour le moins étonnant comme Le Mambo du légionnaire ou Cresoxipropanédiol en capsule de Jean Yanne, Domino, Les Flonflons du balMaria Ninguem en VO… Et toujours cette voix tout sourire, pleine de fraîcheur, super relaxante et positive dans cette monde de brutes. Un plaisir absolu. Une pause on ne peut plus cool. Superbe !

Texte © dominique cozette

 

Envie de faire Pipin ?

Pardon pour ce jeu de mot foireux mais après tout, on n’est pas là pour s’enquiquiner car je vais vous reparler de Ramon Pipin. Ramon Pipin, oh les filles oh les filles s’en souviennent encore mais il a tourné la page. Au Bonheur des Dames est devenu Odeurs, oui, c’est plus rance déjà. S’ensuivent des tas de réalisations d’albums, de musiques de films etc. je ne vais pas vous faire une nécro. Bref, Pipin qui s’appelle aussi Alain Ranval, a fait énormément de choses à part les crêpes aux anchoix. Quoique. Pendant ma période pub, on a fait beaucoup de séances dans son studio Ramsès, on s’est toujours marrés et on est devenus potes, comment faire autrement ?

Or donc, quoi de neuf ? Un superbe album ALAFU bourré de chansons formidables et à la musique — écriture, arrangements et tout le reste — d’une extrême sophistication, avec des tas d’instruments classiques aussi, mais excusez-moi je ne suis pas critique musical, allez voir sur le site de l’artiste ici. Il se trouve que Ramon lui-même explique tout.

Et puis son livre qu’il a récrit en mieux, un polar déjanté dont je vous ai entretenu lors de la première mouture, emportée par un dépôt de bilan d’éditeur… Il s’appelle Une jeune fille comme il faut, mais évidemment, c’est une jeune fille comme il faut être pour les faire tomber tous. Et ils tombent, les cons, principalement notre petit puceau, Fabien Gourniche, fils du flic à la retraite qui a libéré cette fille, Naja, prise en otage dans un bled paumé. Donc le môme boutonneux, tricotilomane, que ses parents ont eu sur le très tard (et peut-être sur le tréteau) tombe en amour avec cette bombe qui lui explose le cœur. Et pas que le cœur.
Désespoir des parents mais il n’y a rien à faire contre ça. Juste à constater, impuissants qu’ils sont, que leur futur hypokhâgneux (il va s’occuper des chevaux, imagine Naja) se met à d’autres tribulations, drogues, vol etc. Je ne vous raconterai rien des aventures abracadantesques de ces jeunes et de leur bande de nases, ni du père qui, bien qu’ex-flic, a la collectionnite aigüe pour les guitares les plus pointues mais se voit moucher, dans son échoppe préférée, par un jeune glandu qui fait une démo de dingue. Parfois, on se demande si Pipin n’a pas écrit certains passages avec son médiator.
Page 51 et suivantes attention ! Passage remarquable  à tous points de vue sur le laçage des lacets. Personne n’a jamais parlé des lacets comme ça, je vous jure que mes larmes commençaient à apparaître quand ouf, l’action déjantée est repartie de plus belle d’un coup de scooter.
Alors, plutôt que de vous trancher les veines ou de vous pendre dans le grenier de votre grand-mère devant la perspective du monde  sacrément cradingue qu’on nous donne à voir et à entendre dans les médias, sacrifiez vos économies chèrement acquises pour ces deux moments de bonheur concoctés par Pipin le farceur qui, jamais, ne vous laissera tomber jamais. Jamais. Ah, je l’ai déjà dit ?
Et je ne vous ai pas parlé de la préface à tomber de Tonino Benacquista. Et des références musicales qui émaillent ce chef d’œuvre d’humour déjanté.
Vous pourrez trouver le livre chez Jeff B., le mec qui s’évade dans l’espace avec les milliards que lui fournissent ses clients. Bon, bah oui, j’ai une éthique tac-toc. Et hop !

Une jeune fille comme il faut de Ramon Pipin, 2012 chez Mon Salon Editions, 190 pages, 12 €, qui nous met la page à 0, 06315789 €, ce qui est donné !

Texte © dominique cozette

Bref tour de quelques galeries du Marais

Puisque les musées sont fermés, je vous invite à voir les quelques artistes qui m’ont consolée de ce manque.
La très chic Thaddeus Ropac, rue de Bellême, expose pour la première fois en France Alvaro Barrington, avec, pour titre You don’t do it for the man, men never notice. You just do it for yourself, you’re the fucking coldest. C’est dit ! Ce qui m’a plus, c’est le dépouillement de ses œuvres (je ne parle pas de ses collages et assemblages de récup au sous-sol), des peintures colorées, petites, sur un fond de lin, de moquette ou autre chose qui rappelle son enfance chez sa grand-mère caribéenne mais surtout l’épais encadrement de béton brut qui rend tout cela très actuel et masculin, et qui fait référence à sa toute jeunesse dans les quartiers zones de New-York. Cet artiste est encore jeune et plein de sève.

 

 

Un artiste que vous connaissez tous et qui me rappelle tellement la S de Spontex, mais c’est un haricot paraît-il, Claude Viallat, dont j’avais admiré l’immense rétrospective à Montpellier il y a quelques années, fête ses 85 printemps dans la belle nouvelle galerie de Templon qui est, depuis peu, au 28 rue du Grenier St Lazare. C’est toujours aussi magnifique bien que répétitif dans le concept, dans l’exécution mais pas dans les formes et on ne peut que s’incliner devant la créativité de cet artiste monomaniaque qui fut dans les sixties partie prenante du groupe supports/surfaces. Encore une vaste galerie où les gestes barrières sont inutiles tellement il serait inconvenant de se coller à quelqu’un !

 

La galerie rikiki, Pièce Unique, pour une ou deux personnes, présente sa nouvelle pièce unique, après ses petites figurines scato-bavaroises du mois dernier. Il s’agit d’un très grand tableau de Mc Arthur Binion qui ressemble, de loin derrière la vitre, à une sorte de tapis. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est un collage papier sur bois ou sont appliquées les centaines de pages de ses répertoires des années 80, lorsqu’il était musicos à NYC, disposées avec régularité et rehaussées d’un motif géométrique, comme un grillage coloré, pour faire staïle (je dis ça pour faire simple sinon je vous recopie la page entière qui blablate comme d’habitude sur la démarche de l’artiste). C’est au 57 rue de Turenne, on s’arrête si on passe à côté, sinon, bof bof…

Hélas, pas de photo !

A la galerie de Thorigny, 1 place de Thorigny, c’est demain le finissage d ‘Empreinte Voluptueuse de Pauline Angotti, en présence de l’artiste, avec ses sculptures et photos affriolantes, certaines en mousse figurant des corps, rephotographiées ou non, d’autres tendance bondage en toile à matelas, et des photos bustes-lingeries reproduites en 3D.

 

Au cas ou cela vous aurait échappé, il y a aussi cette nouvelle et gigantesque galerie de 800 m2, Galleria Continua, 87 rue du Temple, avec  « Trucs à faire » par le curateur J.R. (voir très nombreuses photos sur le lien ici) : plusieurs niveaux, plusieurs artistes, plusieurs styles, des tas de choses amusantes et/ou étonnantes, une installation de supermarket italien où on peut acheter vin et pâtes, mais surtout le plus beau film artistique que j’aie jamais vu, 40 minutes dans une petite salle un peu confinée pour l’époque mais vous le trouverez sur le web ici, Staging Silence de Hans Op de Beck. C’est plus raisonnable même si ça ne donne pas autant que sur un grand écran… (rien à voir avec les deux photos ci-dessous) ! Attention,  il y a la queue, surtout le week-end !

 

That’s all folks pour aujourd’hui. Je ne vous cache pas que c’est rébarbatif comme exercice, aussi, si vous avez apprécié, merci de liker, j’en ferai d’autres à l’occasion. Sinon, bah ça me fera moins de travail !

Texte et photos © dominique cozette

Caca boudin et bien pire

Vous réclamez de la culture ? En voici.
Et ça me fait bien rire.
Rue de Turenne, au 57, une minuscule galerie vient de s’ouvrir, 50 m2, elle s’appelle Pièce Unique. Car comme son nom l’indique, il n’y sera présenté qu’une œuvre. Ce n’est pas la première fois, selon le Monde 2 — presque deux pages sur ce lieu d’importance pour les chochottes de l’art gagosiano-perrotiniens — qui vante la niche appartenant à Massimo de Carlo. Je passe sur l’historique du galeriste mondialement connu ayant exposé d’immenses artistes internationaux. Il a confié les travaux de sa galerie au « starchitecte » Kengo Kuma, nippon comme il se doit, qui a construit le stade des Jeux Olympiques de Tokyo, c’est quand même pas rien, et qui annonce que « les petits projets sont essentiels pour mon approche conceptuelle car je peux y expérimenter des idées plus librement, avec moins de contraintes et ensuite les reproduire à plus grande échelle si elles ont fait leurs preuves « . On peut aussi appeler ça une maquette. Le concept du galeriste : « Il me semble nécessaire de revenir à l’idée du visiteur seul face à une œuvre ». Bon. J’ai hâte de voir le prochain vernissage déconfiné.
Le travail est soigné, les pierres lutéciennes ont été mises à nu et sablées, ainsi que poutres et lattes. La « banque d’accueil » a été dissimulée derrière une cloison, un parallélépipède de calcaire découpé dans le sol de Saint Maximin et laissé tel quel. Le sol en argile parachève cette symphonie de blanc, travail d' »une discrétion absolue ». Quant à la baie, elle est d’un verre soigneusement sélectionné pour sa transparence qui n’offre aucun reflet. Et doit coûter la peau de paupière d’un cyclope.
Pourquoi me moqué-je ?
Parce que. Vous allez voir.
La personne de la banque d’accueil, fort sympathique, a insisté pour que j’accepte de prendre l’argumentaire. Une simple feuille A4, 80 grammes à vue de doigt, imprimée recto verso en corps 11 qui résume Massimo de Carlo puis nous informe sur l’œuvre de Kaari Upson (mini-bio au verso) intitulée Clay Baby (ce qui pourrait signifier bébé d’argile, mais c’est de la céramique). Et c’est la critique Myriam Ben Salah qui s’exprime :
TENEZ-VOUS BIEN !
« Gazon en plaque brûlure de merde brûlure des fesses brûlure de trou du cul crotte cuite au barbecue prêt remous miam miam, Paul Mc Carthy. (que vient-il faire là ?).
Je vous passe le travail archéologique qu’il lui a fallu faire pour justifier les trous de balle marron de la fillette penchée en avant « prête à déféquer ». Tout s’éclaire (!) à la fin : Si vous remplissez les fesses de Clay Baby et que vous les allumez, si vous lui enfoncez un bâton dans le derrière  — excusez mon français — elle défèquera des cendres, ouvrant la voie à une herméneutique de la décomposition. Spodomantie : divination par les cendres. Nous ne savons pas d’où vient Clay Baby mais il semblerait qu’elle sache où nous allons. »
Au zwater peut-être, je ne sais pas, je m’esclaffe en lisant ceci, c’est moins de l’art que du cochon quoique… Je suis subjuguée, je vous l’avoue, et me dit, in petto, avant de ressortir sous la pluie parisienne : tout ça pour ça…
(Mais c’est ça, l’art contemporain, imbécile, tu n’as rien compris). OK.

Galerie Pièce Unique. 57 rue de Turenne. 75003. Paris.

Texte © dominique cozette

Du tambour au tam-tam

Mais pourquoi cette image ? Ici, nous sommes au 7 rue Sainte Croix de la Bretonnerie, dans le Marais parisien où je me promène souvent. Ici, certains s’en souviennent, se tenait une belle boulangerie. Et d’un seul coup, fini ! J’y vois cet affichage, preuve s’il en est de la disparition de commerces traditionnels au profit d’une boboïsation totalement inutile.  Qui va acheter un soutif en se levant pour le tremper dans son café au lait ?
Et sous la boulangerie, qui se souvient d’un club de jazz réputé dans les années 60, appelé le Gill’s Club, labyrinthe de caves voutées puant le tabac et le salpêtre du temps de sa splendeur ? Il fut créé en 1963 par Gilles Nicolas, d’où le nom, et Jean-Claude Weill qui logeait dans les étages. Jean-Claude était guitariste et Gilles batteur de jazz.
Parallèlement, ils fondèrent le Gill’s Club de l’été, derrière Saint de Monts, dans une bourrine au toit de chaume en plein marais (le marais, encore) vendéen où défilèrent de nombreux musiciens de jazz qui tournaient sur les plages avec France Gall ou Carlos, heureux de pouvoir y faire un bœuf et « se laver les oreilles de cette variétoche de m… ».

Revenons à celui de Paris que je n’ai pas beaucoup fréquenté, étant un peu jeune à cette époque bénie du bebop, de Coltrane, Mac Coy Tyner et autres Messengers. Ce club marchait bien, surtout les vendredis ou samedis soir et rien ne laissait présager qu’il fermerait pour une raison brutale : 141 jeunes morts dans l’incendie d’un dancing à Saint Laurent du Pont, le 1er novembre 70, le bal tragique qui anticipa d’une semaine le « bal tragique à Colombey » (mort du général de Gaulle) pour lequel Hara Kiri fut immédiatement interdit à la vente, remplacé aussi sec par Charlie Hebdo.
Mais pourquoi vous assommé-je avec ces sombres histoires ? Parce que ça m’a frappée de voir qu’à la batterie de Gilles Nicolas (devenu plus tard mon ex-mari, je résume) succèderait un autre instrument de la famille des percussions : le tam-tam d’une princesse. C’est un peu maigre ? Continuons.
En 1970, donc, l’incendie ravageur du dancing où se produisait un groupe de rock tua en moins de dix minutes ces 141 malheureux jeunes, soit qu’ils furent asphyxiés par les vapeurs dégagées par le polystyrène, soit qu’ils furent brûlés vifs, d’autant qu’une boule de feu traversa l’espace quand quelques-uns réussirent à forcer une issue de secours, fermée comme toutes les autres par peur du resquillage. En dix minutes, tout fut fini. Les musiciens furent retrouvés figés sur scène, jouant probablement sans se rendre compte qu’ils étaient en train de s’asphyxier. 63 fautes furent retenues contre le gérant lors du procès. Il fit de la prison.
Après cet horrible fait divers, tous les établissements publics qui ne possédaient pas d’issues de secours durent fermer. Ainsi les caves. Donc le Gill’s club.
Gilles me raconta que pour maintenir cet établissement, ils avaient essayé de racheter la boulangerie et j’ai gobé ça, comme s’ils en avaient les moyens ! D’autant qu’en fouillant le net pour en savoir un peu plus (les protagonistes étant décédés), j’apprends que le Gill’s Club de Paris avait été repris en 1965 par un autre fou de jazz, Gérard Terronès, — plus rien à voir avec Gilles — qui y implanta le free jazz et y créa un label et qui est mort lui aussi il y a peu.
La fondatrice de Princesse tam-tam  est, elle aussi, décédée avec son mari, lors d’un attentat à Bombay qui tua 130 personnes.

Quant au Gill’s Club vendéen, il finit en flammes, ces foutues flammes, par une nuit d’hiver 72, frappé par la foudre.
Ces incendies, ces attentats, ces morts brutales bientôt effacées par une enseigne de produits pou-pou-pidou qui font rêver les femmes pour ce qu’elle leur promet et les hommes pour le désir de l’ôter au plus vite du buste de leur conquête, sans tambour ni trompette, sur la superbe couche d’un magnifique Airbnb dont les affaires, figées par le confinement, repartiront hélas dans quelques temps avec les incessants bruits de roulettes de ses petites valises taille cabine, qui passeront devant l’ex- chouette librairie gay (et pas que) au 6 de la même rue, les Mots à la bouche*, priée de plier les gaules pour laisser la place à un marchand de pompes vintage d’un docteur anglais. Ciao culture.
Qui a dit que Paris sera toujours Paris ?
(Maurice Chevalier qui honora joyeusement les seins avec Valentine et ses petits tétons et les chaussures avec ses petits petons. La boucle est-elle bouclée ?)

* la librairie va rouvrir pas loin, rue St Amboise dans le 11ème. Ouf.

Texte © dominique cozette.

The last wedding, quelle mine !

Plus qu’une semaine pour aller admirer le magnifique travail de Rebecca Tollens, à peine 30 ans, d’origine franco-suédoise, qui se destinait au droit international. Puis, après une mission humanitaire au Ghana, se lança dans un road-trip en Amérique du sud qui lui fit abandonner une carrière juridique pour celle d’artiste. Elle a d’abord fait des études d’illustratrice puis, sur les conseils des deux créateurs de la galerie de la rue de Charonne, s’essaya dans des dessins plus personnels, sans cadres imposés ou autres contraintes. Une réussite.

Si je ne me trompe, c’est sa deuxième exposition à Arts Factory, expo sur les quatre demi-étages, riche, superbe, avec ses dessins à la mine de plomb et au fusain qui racontent des jolies scènes de vie, étrangement cadrées parfois, toujours émouvantes avec leur petit je ne sais quoi de nostalgique. Mais aussi des céramiques d’allure très fragile, très fines, quelques vidéos mystérieuses et des installations sur ses recherches graphiques.
A ne pas manquer si vous appréciez le beau dessin, sinon, il restera son site. Ou son instagram.

Rebecka tollens, The Last Weddind à la galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne 75011. Jusqu’au 29.

texte © dominique cozette

A History of misogyny par Laia Abril

J’avais repérée l’artiste Laia Abril en 2016 aux Rencontres d’Arles où la première partie de son travail, A History of Misogyny, avait pour sous-titre « on abortion », et je la retrouve (attention, c’est jusqu’au 22 février) dans la bien-nommée galerie Les Filles du Calvaire  où elle traite cette fois le viol. Cette jeune artiste, je la vois comme une sorte d’historienne, de journaliste ou de sociologue tant elle affiche plusieurs pans de ses sujets qu’elle recueille avec photos et précisions narratives pour nous en faire part. Elle dit : « En scrutant, conceptualisant et visualisant les échecs judiciaires, en tenant compte des réglementations historiques, des dynamiques toxiques et des témoignages de victimes, le projet pointe la culture du viol institutionnel répandue dans les sociétés du monde entier. Je développe ce travail en explorant les liens entre mythes, pouvoir et droit et les notions de masculinité et de violence sexuelle. » [•••] « Ce projet montre à quel point la société blâme encore aujourd’hui les victimes d’agression sexuelle, tout en normalisant la violence sexuelle. »

Au rez-de-chaussée, une petite dizaine d’immenses photos représentant chacune une tenue : une robe de mariée pour une enfant de 13 ans mariée de force, une robe de petite-fille de cinq ans violée par son instituteur jamais puni, une tenue de religieuse de femme maltraitée, un uniforme de prisonnière… etc et, au-dessus, la narration des crimes. Dans certains pays, la femme violée est lapidée, ou son père est remboursé, ou elle doit épouser le violeur, ou elle n’est pas crue, ou c’est la tradition d’enlever une très jeune fille pour l’épouser sans que la famille ne puisse l’en empêcher pour ne pas perdre son honneur.
Au premier étage, des petites photos ou des objets accompagnés de légendes sur leur utilisation par rapport au viol. Ou pour punir ou soigner les pervers…
– Un sabre vibrant « Aux filles et aux femmes qui se plaignent d’avoir été violées, il n’y aurait, il me semble, qu’à leur conter comment une reine éluda autrefois l’accusation d’une plaignante. Elle prit un fourreau d’épée, et, en le remuant constamment, elle fît voir à la dame qu’il n’était pas
possible alors de mettre l’épée dans le fourreau. » (Voltaire.)

– Kits de viol : Aux États-Unis, des milliers de kits de preuve de viol (sorte de boîte) contenant des preuves ADN n’ont pas été envoyés aux laboratoires de polices scientifiques pour analyse, ils ont soit été interceptés soit laissés tels quels. Ce problème a potentiellement empêché l’identification de milliers de violeurs.
– Photo des camps de viols en Bosnie où l’armée serbe a commis entre 12 000 et 50 000 viols sur des personne de tous âges et des deux sexes.
– Un dispositif anti-viol hérissé de pointes à introduire dans le vagin. Le pénis piégé ne peut être délivré que par un acte chirurgical.
– Gulabi Gang ,« le gang rose », est un groupe d’autodéfense indien entièrement féminin qui lutte contre la violence domestique et sexuelle. Il comprend 400 000 combattants (en 2014) armés de lathis [bâtons] et habillés de saris roses.
– La castration chimique : des médicaments sont distribués aux États-Unis, en Indonésie, en Australie, en Russie, en Corée du Sud, en Chine, au Danemark, en Suède, en Moldavie, en République Tchèque, en Allemagne ou en Pologne. Ces substances sont capables de réduire la libido, les fantasmes sexuels compulsifs et la capacité d’excitation sexuelle.
– Le physique : En 2017, le tribunal italien de la ville d’Ancône a innocenté deux hommes qui avaient drogué et violé une jeune fille de 22 ans parce que la victime présumée était  » trop masculine et trop laide  » pour être une cible.

« On rape » de Laia Abril à la galerie Les filles du calvaire, 17, rue des Filles-du-Calvaire 75003 Paris. Jusqu’au 22 février.

Jean Feldman est à Sète

Jean Feldman, avant d’être un grand artiste, fut un très grand publicitaire. Les campagnes qui sortaient de son agence FCA étaient magnifiques. Tous les anciens publicitaires que nous sommes s’en souviennent. Mais il a tourné la page, je ne le sens pas nostalgique du tout mais allant toujours de l’avant, réalisant le projet qui lui tenait à coeur depuis toujours : entrer dans le monde de l’art.

J’ai appris par un de ses proches qu’il a détruit les peintures de sa première exposition, des femmes nues stylisées, superbes, pour passer à autre chose. Cet autre chose, après de nombreuses expositions principalement parisiennes, est à Sète dans une étonnante chapelle dédiée aux arts plastiques, décatie et impressionnante : la Chapelle du Haut Quartier.

Le cadre parfait pour les personnages et autres créations de Jean Feldman, la plupart réalisées à base de carton découpé, parfois peint, d’aluminium, de bois. Il n’arrête pas, son atelier est envahi de son imaginaire, très souvent des grands formats soigneusement encadrés — Jean est un perfectionniste — et enrichi régulièrement de nouvelles créations.

Car si son style est bien identifiable, il continue à le faire évoluer d’année en année, en nuances, en sujets ou en volume, nous offrant chaque fois une nouvelle facette de son talent.

 

Ce qu’on aime à l’unanimité, c’est le regard bleu azur qu’il porte sur le monde, on l’imagine enfantin, simple, ébahi, émerveillé. Comme lui, en fait.
Mes photos ne sont pas merveilleuses, certaines sont faites à partir du très beau catalogue que je n’ai pas voulu « casser », mais ça donne une idée assez claire de l’artiste. Vous pouvez en voir plus sur la page FB de la Chapelle avec un film panoramique de l’expo.

L’atelier de Jean Feldman, c’est jusqu’au 8 mars à la Chapelle du Haut Quartier, rue Borne, à Sète.

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter