Un chien à ma table

Ce n’est pas un chien stupide qui débarqua un jour chez John Fante (dont le film qui en fut tiré est très au-dessous du livre), c’est une petit chienne qui débarque chez un vieux couple retiré au fin fond du trou de cul de l’est de la France. Un chien à ma table est un roman de Claudie Hunziger qui nous amène dans un coin presque encore inviolé de la forêt loin de tout, une vieille baraque, où ces deux énergumènes finissent leur vie. Lui, c’est Grieg, ou le Grigou, cheveux gris, bandana rouge, ridé, fumeur, qui passe ses nuits à lire dans sa chambre alors qu’elle se réveille plutôt dès matines et qu’elle écrit. Ils s’adorent depuis soixante ans, elle nous expose les écroulements du corps et de la santé liés à l’âge mais aussi la beauté presque perdue d’une nature généreuse, merveilleuse, consolante.
La petite chienne qu’elle va appeler Yes a subi visiblement les sévices d’un sale type, elle s’est enfuie, sa chaîne est rompue. Puis elle disparaît. Est-elle retournée chez son tortionaire ? Non, elle revient et s’installe auprès du couple. C’est une affectueuse, une lécheuse, une tendre. Notre héroïne va l’adorer plus que tout, va trembler pour elle lorsqu’elle verra passer des drôles de bonshommes sur le GR proche de chez eux.
Cette écri-vaine, comme l’appelle son vieux compagnon, va à la ville présenter son dernier bouquin, comme à la guerre : des pompes énormes, les mêmes que celle de Brigitte Fontaine sur une photo, et sa vieille parka.
Puis un jour, Grieg voudra redormir avec elle, alors elle construira un grand lit avec, pour sommier, tous les Monde qu’ils n’ont jamais jetés, dans un cadre en bois. La pièce à vivre deviendra la chambre des trois, eux deux plus la chienne.
Il ne se passe pas énormément de choses dans ce livre si ce n’est la narration d’un amour immense pour cette nature que détruit l’homme, la menace que tout s’arrête et aussi la peur de la mort de l’un d’eux. On apprend des noms d’arbres, de fleurs, des petites vies de bêtes et on partage des moments de pure simplicité avec eux. Et on a peur, nous aussi, que cette harmonie très roots ne vole subitement en éclats.
Très beau livre, poignant, d’une magnifique écriture.

Un chien à ma table de Claudie Hunziger, 2022, chez J’ai lu. 288 Pages, 7,80 €

Texte © dominique cozette

Triste tigre

Triste Tigre est un texte surprenant parce qu’il ne cesse de questionner, nous comme son autrice Neige Sinno, sur le mécanisme du viol, celui qu’elle a subi durant des années, et ses suites. Il ne se lit pas d’une traite, il demande réflexion, il comporte beaucoup de digressions proches du sujet mais s’en éloigne parfois. C’est impressionnant. Une fois n’est pas coutume, je vous livre le « résumé » que Babelio en a fait car je ne pourrai pas dire mieux :

« Il disait qu’il m’aimait. Il disait que c’est pour pouvoir exprimer cet amour qu’il me faisait ce qu’il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l’aime en retour. Il disait que s’il avait commencé à s’approcher de moi de cette manière, à me toucher, me caresser c’est parce qu’il avait besoin d’un contact plus étroit avec moi, parce que je refusais de me montrer douce, parce que je ne lui disais pas que je l’aimais. Ensuite, il me punissait de mon indifférence à son égard par des actes sexuels. »
Entre 7 et 14 ans, la petite Neige est violée régulièrement par son beau-père. La famille recomposée vit dans les Alpes, dans les années 90, et mène une vie de bohème un peu marginale. En 2000, Neige et sa mère portent plainte et l’homme est condamné, au terme d’un procès, à neuf ans de réclusion. Des années plus tard, Neige Sinno livre un récit déchirant sur ce qui lui est arrivé. Sans pathos, sans plainte. Elle tente de dégoupiller littéralement ce qu’elle appelle sa « petite bombe ». Il ne s’agit pas seulement de l’histoire glaçante que le texte raconte, son histoire, une enfant soumise à des viols systématiques par un adulte qui aurait dû la protéger. Il s’agit aussi de la manière dont fonctionne ce texte, qui nous entraîne dans une réflexion sensible, intelligente, et d’une sincérité tranchante. Ce livre est un récit confession qui porte autant sur les faits et leur impossible explication que sur la possibilité de les dire, de les entendre. C’est une exploration autant sur le pouvoir que sur l’impuissance de la littérature. Pour se raconter, la narratrice doit interroger d’autres textes, d’autres histoires. Elle nous entraîne dans une relecture radicale de Lolita de Nabokov, ou de Virginia Woolf, et de nombreux autres textes sur l’inceste et le viol (Toni Morrison, Christine Angot, Virginie Despentes). Comment raconter le « monstre », « ce qui se passe dans la tête du bourreau », ne pas se contenter du point de vue de la victime ? Jusqu’à reprendre la question que le poète William Blake adressait au Tigre : « Comment Celui qui créa l’Agneau a-t-il pu te créer ? » (The Tyger). Le récit de Neige Sinno nous fait alors entrer dans la communauté de celles et ceux qui ont connu « l’autre lieu », celui de la nuit et du mal, qui ont pu s’en extraire mais qui en sont à jamais marqués, et se tiennent ainsi à la frontière des ténèbres et du jour. Nulle résilience. Aucun oubli ni pardon. Juste tenter de tenir debout, écrire son récit comme une « petite bombe artisanale qu’on fait exploser tout seul chez soi, dans l’intimité de la lecture. Elle a l’intensité et la fragilité des choses conçues dans la solitude et la colère. Elle en a aussi la folle et ridicule ambition, qui est de faire voler ce monde en éclats. »

Triste tigre de Neige Sinno, aux éditions P.O.L. 288 pages, 20 €.

Texte © Babelio

La foudre du dernier Pierric Bailly

Le dernier opus de Pierric Bailly, La Foudre, est beaucoup plus épais que les précédents. Etoffé. C’est qu’il y en a à raconter. D’abord, et toujours chez cet auteur, la nature jurassienne dans toute sa beauté, ou sa dureté, ou sa variété. Le héros a pris le nom de son taiseux de grand-père, John, l’homme qui lui a tout appris sans mot. Il est mort mais toujours là, dans le cœur de John, le jeune. Pour l’instant, il est berger pendant plusieurs mois, il garde les brebis d’Anna-Marie qui ne veut plus monter. Il vit de peu, dans son abri sans grand confort, avec ses deux chiens adorés plus les deux patous qui protègent le troupeau des bêtes sauvages. Pour allumer son feu, il dispose d’une pile de vieux journeaux qu’il parcourt distraitement. Il n’a pas de Wifi, ni de portable. Il est vraiment coupé du monde. Il a cependant une amoureuse depuis quelques années qui a formé un beau projet pour eux deux : aller vivre à la Réunion et y faire un bébé. Elle est enseignante et n’aura aucun mal à trouver du boulot. Elle ira dès la rentrée des classes pour y trouver le lieu et la maison et lui la rejoindra une fois les brebis redescendues.
Mais soudain, bim, à la une d’un vieux journal, il apprend qu’Alex, un ami d’internat, vient de tuer un chasseur. Alex est un non-violent, certes il n’est pas très chasse, vegan plutôt et il sauve tous les animaux abîmés depuis qu’il est petit. Alex, c’était un sacré personnage, un charme fou, un charisme tel que John a copié son grand rire et l’a pris longtemps pour modèle dans sa tête. En plus, il sortait avec Nadia dont John était très épris.
Pour en savoir plus sur ce mystère qui le touche de près, il réussira à joindre Nadia avant de partir. Mais elle vit dans un tel désarroi avec ses deux petits mômes et son mec en prison, pas encore jugé alors qu’il s’agit vraiment d’un accident, que John fait tout ce qu’il peut pour la soutenir, l’aider, lui permettre enfin de libérer sa parole car son mari, le meurtrier, est devenu tabou auprès des autres, donc elle aussi. John n’a aucune arrière pensée en agissant ainsi. Dt impossible de ne pas assister au procès, il veut aller jusqu’au bout, et pour cela, il recule son arrivée à la Réunion.
Le roman va devenir tendu, on se doute qu’il ne va pas échapper à ce bon vieux dilemme : Héloïse ou Nadia, tout en sachant qu’Alex n’est pas mort, qu’il va peut-être revenir bientôt, libre, aimer sa femme, s’occuper de ses marmots.
Entre temps, on se promène dans ces paysages magnifiques où l’auteur ne se prive pas de citer plantes et animaux qu’il aime tellement, odeurs et bruissements.
Un très beau livre, sentimental parfois, c’est la spécialité de l’auteur qui a taxé son dernier opus, le Roman de Jim, de mélodrame. Il le fait très bien.

La Foudre de Pierric Bailly, 2023 chez P.O.L. 460 pages, 24 €.

Texte © dominique cozette

Eloge de la plage

Le livre de Grégory Le Floch, Eloge de la plage, nous embarque dans un lieu que nous connaissons tous, dont nous rêvons tous, lieu magique où nous aimerions nous téléporter quand nous n’y sommes pas : la plage. Et pourtant, il y a très peu de temps que l’humain jouit de ce splendide bord de mer. Jadis, au contraire, il était craint ou ignoré. Les villages se construisaient loin des plages, ou dos à elles, sauf les ports, et seuls les fous et les malades y étaient emmenés pour soins. « Les premiers à fréquenter les plages sont les fous et les névrosés. Cela peut paraître étrange mais je ne suis pas surpris. Les fous ouvrent vraiment la voie. Ce sont eux qui débusquent la beauté, traquent les visions, malaxent et triturent la vie au péril de la leur jusqu’à ce que nous y percevions, nous autres, une petite trace de lumière. »
Que l’on se rassure, il ne s’agit pas d’un historique mais bien d’un ensemble de réflexions, de souvenirs et de références qu’a inspirés ce lieu. L’auteur cite nombre d’écrivains et d’artistes qui s’y sont illustrés comme Paul Morand, Eric Rohmer, Marcel Proust, Eugène Boudin le peintre, Brigitte Bardot, la liste est longue et savoureuse. Il se plaît à nous raconter les plages du monde qu’il a sillonnées ou adoptées avec son compagnon, celles qui disparaissent ou qui réapparaissent sous la furie des vagues ou par la bêtise des hommes.
Peuvent-ils le croire, les jeunes gens, que les hippies suivaient un circuit des plages pour aller jusqu’à Katmandou : on passait par Ibiza, Matala en Crète, Goa etc. Infaisable, bien sûr, de nos jours.
Il nous emmène dans des petites criques grecques, ou sur la plage que Jane Campion a choisie pour La Leçon de piano. Puis sur l’île d’Elbe, en Calabre. Il nous fait rencontrer Hermann Hesse adepte du nudisme. Et nous fait revivre quelques épisodes du débarquement.
Mais, car il y a toujours un mais, il nous attriste avec ce que nous faisons de ces lieux idylliques, les pollution de toutes sortes, les saletés que nous laissons traîner, les mines dont les truffent les guerres et surtout, surtout, l’énorme trafic mondial de sable : car le sable nous est indispensable pour fabriquer le ciment, le verre, l’asphalte, les routes etc. Les mégapoles qui se construisent en plein désert en sont avides car hélas, le sable du désert, trop rond, est inutilisable. Alors on pioche dans le patrimoine mondial, mers et rivières, on bouscule la diversité, on détruit, on vole, on fait des trous tellement énormes dans la mer que les plages finissent pas y disparaître. Sans parler de l’érosion, la bétonisation, la montée des océans… Des milliers de kilomètres de plages sont en train de disparaître irrémédiablement. D’autres sont devenues de vrais cimetières pour migrants. Le rêve devient cauchemar.
Puis la mer efface tout, la plage redevient vierge. Ce que nous souffle l’auteur : profitons encore des moments si beaux passés dans ces magnifiques endroits, ça nous rendra un bel éclat de vie.

Eloge de la plage de Grégory Le Floch, 2023 aux éditions Payot&Rivages, 236 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

Sacré Fab Cacaro !


Fan depuis le premier jour de Fab Caro, puis de Fabrice Caro, auteur de Zaï zaï zaï zaï dont a été tiré un film hilarant, rencontré plusieurs fois lors de signature donc vérifié que c’est un mec bien, drôle et tout, bouche bée devant son humour ravageur, je viens de m’offrir son tout dernier opus intitulé Journal d’un scenario qui, comme son nom l’indique, narre les affres d’un auteur aux prises avec une prod de film.
Comme de bien entendu, notre héros, Boris, est un loser. Inhibé, ayant une conscience fléchissante de lui même, néanmoins sûr de son talent créatif, il vient de finir Les Servitudes silencieuses, un scénar prout prout (c’est le cas de le dire) ambitieux, qui sera tourné en N&B et dont les deux héros seront Louis Garrel et Mélanie Thierry, conditions sine qua non à la négo de son futur succès.
Le producteur trouve son idée super, alors, il est fou de joie, et, cerise, rencontre à une soirée une jeune femme férue de ciné à laquelle il va confier tous les détails de sa créations. Elle en connaît un rayon car elle étudie le cinoche. Ils ne parlent plus que de ça, ciné, ciné, ciné.
Yann, son ami qui vient de subir une rupture, lui envoie son fils, un glandu style dilettante, qui lui fera un magnifique projet d’affiche. Boris ne sait pas dire non.
Il ne dit pas non non plus lorsque le producteur lui propose avec une insistance bienveillante et positive un autre comédien, puis un autre couple, un truc qui n’a mais alors rien à voir. Et qu’ensuite les financiers concernés développeront eux-mêmes des idées d’une vulgarité sans nom pour gagner les faveurs d’un public en quête d’humour. Car ils s’y connaissent en film et en humour.
Ces changements qui le mettent à bas, il est bien obligé de les accepter mais il continue à jouer la comédie devant la jeune femme dont il est amoureux, elle-même très amoureuse de Louis Garrel.
Je n’en dis pas plus… Personnellement, je n’ai pas vraiment aimé les gags grossiers des financiers, mais sinon, c’est un bon moment à passer, d’autant que Fabrice nous fait réviser des dizaines de films-cultes dans sa recherche de comparaisons à sa douleur de voir se diluer son idée.

Journal d’un scenario de Fabrice Caro, 2023 chez Gallimard Sygne, 190 pages, 19,50 €.

Texte © dominique cozette

La Péremption

Les pièges de ce livre de Nicolas Fargues, La Péremption :
– 40 ans. Nicolas Fargues n’a pas 40 ans comme il est exclamé sur le bandeau, mais ce sont les éditions P.O.L créées par feu l’incroyable Paul Otchakovsky-Laurens, mort lors d’un regrettable accident pendant ses vacances, qui les ont cette année. L’auteur, lui, a 51 ans, comme son héroïne Zélie.
Le Masque et la Plume ont encensé le bouquin dans un de leurs conseils.
– Le mec est un très bel homme après avoir été un très beau jeune auteur talentueux, donc oui, on aime lire du beau.
– le style est actuel, pour une vieille comme moi, il réfère beaucoup aux tics et éléments de langage qui habillent tous les billets et se déversent du bec de tous les sachants.
– C’est du P.O.L donc c’est du bon.
Et puis j’ai lu quelques-uns de ses titres de jeunesse où il se racontait avec aisance. Puis j’en ai lu un qui m’a déçu en mal. Donc je n’ai plus lu. Sauf que je m’y suis remise pour celui-ci, la preuve.
L’histoire n’est pas d’une grande originalité, c’est une femme sur le retour, comme on ne dit pas des hommes, donc fraîchement ménopausée, comme on ne dit pas des transgenres, qui prend une retraite précoce suite à un petit héritage et un désir de créer. Voilà-t-y pas qu’elle fait connaissance « par hasard » — comme on dit pompeusement trop souvent — lors d’une fête, un tout jeune homme issu de la diversité, très branché, « dreadlocks courtes aux pointes teintées de blond », qui se fait appelé Shock, Séraphin pour l’état civil, et se dit entrepreneur. Une histoire se noue, la vieille riche aisée et le jeune black en plein développement qui veut monter un élevage de je ne sais plus quoi dans son pays d’origine, la RC.
Ce livre est aussi agréable à lire qu’une satire de notre temps avec nos manies stupides, nos idées à la con, nos manières d’être ridicules, nos snobisme à la noix et nos références semi-culturelles vérifiées sur Wiki . Fargues s’amuse à les dézinguer avec grâce, il faut bien le reconnaître, et c’est très plaisant. Après ça, vous arrêterez peut-être de dire que vous êtes sur Paris.
Comme je suis d’humeur flemmarde, je te vous colle deux bonnes citations piquées dans Babelio :
« Une génération venue au monde avec une maîtrise innée du montage vidéo à coupe franche, de l’usage de la touche lecture rapide de la télécommande et des mots-consonnes de trois lettres. Hermétique aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes. […] Pour faire la conversation à Darel – et, par là, pour faire plaisir à Furio à qui je n’osais demander si lui et Darel étaient également amants, j’avais hasardé le nom d’Hervé Guibert. Darel m’avait toisée avec cette compassion amusée qu’on pouvait réserver, de mon temps, à un admirateur du violoniste André Rieu ou du saxophoniste Kenny G. J’avais pensé rectifier le tir en lançant celui de Guillaume Dustan moins consensuel. Lui, c’est vrai, on peut pas complètement nier qu’il a eu sa part dans le mouvement global, m’avait concédé Darel avec mansuétude. Mais je dirais qu’il reste quand même assez peu challengeant, vu l’importance du contexte, avait-il ajouté pour que je ne me fasse pas trop d’illusions non plus sur la pertinence de mes références archaïques. […] Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m’intéressaient. »
« Avec les réseaux sociaux qui, depuis quinze ans, avaient donné la parole au peuple dans son ensemble, les rapports de force étaient désormais inversés. le peuple et ses goûts pas toujours sélectifs, on n’entendait plus que lui. »
Comme quoi la forme peut aussi faire la rue, ça mange pas de pain si on manque de fond (vieilles expressions des musicos du milieu du XXème siècle).
Bref, la sémantique bien maniée peut amuser des esprits simples comme le mien à la mi-août.
J’oubliais : les prénoms aussi font la rue Michel : Elle c’est Zélie, son fils Furio, son ex Alessandro, Shock son amant alias Séraphin, Darel un pote etc.

La Péremption de Nicolas Fargues, 2023 aux éditions P.O.L. 190 pages, 19 €, ce qui nous fait la page à dix centimes exactement, et la couv en cadeau.

Texte © dominique cozette hors le passage Babelio.

Commencer mais comment


Par curiosité, j’ai lu ce livre de Claire Marin, une philosophe dont on parle beaucoup et qui réalise de beaux scores de vente. Ce livre a pour sujet « Les débuts », c’est sont titre avec pour sous-titre Par où recommencer, et balaie le spectre des commencements auxquels nous sommes tous confrontés : notre vie déjà mais quand commence-t-elle ? Nos souvenirs ne sont pas fidèles, nous sont souvent racontés et déterminent notre moi involontairement. Donc où nous commençons-nous ? Le livre s’ouvre sur un début très net avec la naissance de sa fille. Oui, tout commence pour la mère, c’est simple et ça marque un réel tournant dans la vie.
Claire Marin va évoquer l’impatience des débuts, quand l’enfant veut déjà savoir pédaler ou jouer d’un instrument ou lire, par exemple, ou danser. Comme lui, on veut pouvoir exercer nos talents machinalement mais si cela devient une sédimentation, ça va manquer d’imprévu.
Il y a des commencements qui ne sont pas suivis, ou très peu, et à ce titre, engendrent des souvenirs brefs et émouvants. Elle parle de la beauté de l’éphémère. Le plaisir de la nouveauté, la soif de l’inédit, la recherche du jamais vu. Porte à notre connaissance la différence du ressenti de l’instant ou du temps entre Bergson et Bachelard.
Je ne vais pas faire le catalogue des chapitres traités par Claire Marin, toutes les questions philosophique y passent, la mort, le doute, le deuil, la peur… Ce qui est cool, c’est qu’en fait elle nous explique ou nous ré-explique ce que nous pensons savoir, de façon simple, avec des exemple de personnes que nous connaissons, que ce soient les classiques de la philo ou des écrivains comme Annie Ernaux, Perec, Nicolas Mathieu. Très plaisant à lire, pas de prise de tête et un peu de remue-méninges qui ne fait pas de mal.

Les débuts, par où recommencer de Claire Marin, édité chez Autrement, 2023. 190 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

So cute so chic

Voici ce que je peux considérer comme un livre très snob bourré de private jokes, de références chiquissimes, de centaines d’aphorismes et de punch lines parfois vides de sens, hyper cool ou mystérieux ou drôles.
Le livre s’intitule Daimler s’en va, ça signifie qu’il meurt, il va se suicider très jeune parce que la vie n’en vaut pas la peine, il a tout essayé et la dernière aventure qui reste est bien la mort. Mais il ne le prévient pas quand il mettra son projet à exécution.
Une partie du maigre bouquin fait parler son pote qui tente de nous faire comprendre le personnage, car c’est un personnage et il ne nous livrera jamais ses secrets. Ce qui contribue au charme improbable du livre.
L’auteur, Frédéric Berthet, est une sorte de dandy hyper cultivé, ami des Hussards, et déviant par rapport à ce qu’il fallait apprécier dans son milieu intello bourge. Imaginez, il aimait Brautigan ! Il n’a écrit que cinq livres, plutôt des sortes de nouvelles ou compils de fragments de pensées et réflexions, dont ce seul romain composé lui aussi suite de fragments inégaux.
Ce qui est fort, c’est qu’on ne comprend rien ou pas grand chose, mais c’est très agréable quand on aime les mots et les phrases et comme le texte est très court et écrit gros, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Donc Daimler se suicide vers la trentaine comme Berthet se suicidera ou se noiera dans l’alcool, c’est pareil, dans sa cinquantaine. Bref, c’est déconcertant, drôle et désespérant. En pas cher en poche…

Daimler s’en va de Frédéric Berthet, 1988, aux éditions de la Table Ronde, 122 pages, 6,10 €

Texte © dominique cozette

La palourde est-elle légère ?

Sigolène Vinson est une rescapée des attentats de Charlie. Ils l’ont épargnée parce que c’est une femme. Après la tuerie et avant le procès où elle devait témoigner, elle a écrit un livre assez barré (d’après le Monde), comme elle, puis cette fois, elle sort un livre de légèreté, la Palourde. Que je ne trouve pas si léger que ça au niveau du sujet, la planète qu’on bousille, mais très aérien au niveau du style.
L’héroïne est venue s’installer au pied d’une falaise ocre, dominant l’étang de Berre dont elle connaît et cite nombre d’êtres vivants, plantes, mollusques, insectes, poissons… Ses voisins l’apprécient pour son côté primesautier, particulièrement François, un pêcheur sympa et vif. Il lui annonce que si leur voisine Marie, une femme plus âgée, est fantasque, c’est à cause de sa maladie galopante : d’ailleurs , elle considère un de ses paons — qui crie Raoul au lieu de Léon — comme son chien et le promène en laisse. Marie est la femme de Youssef, un autre bienveillant, qui lui conseille de répondre à l’amour de François. Mais elle préfère être furieusement amoureuse de Jean, lui travaille à la centrale hydro-électrique qui détruit l’étang, qui ne l’aimera jamais car il aime sa femme. Et pourquoi pas elle demande-t-elle lors d’un pot au bistro du coin ? Parce que sa femme « est d’ici ». Impossible d’aimer autant les femmes qui ne sont « pas d’ici ». Tant pis, elle décide qu’il sera son dernier amour car elle ne veut plus aimer depuis qu’avec le premier, Pierre, c’était tellement fort qu’ils étaient devenus comme frère et sœur et qu’ils se sont quittés pour ça. Ils sont amis, lui marié, un enfant.
Donc cet étang est en train de mourir à cause du réchauffement et de la centrale, la palourde crève avec plein d’autres êtres vivants, les insectes tombent, rien ne va plus
Un moment, une sorte de vipère des mers desséchée, un syngnathe aiguille qu’elle garde précieusement chez elle, se met à parler à notre héroïne pour la pousser dans ses retranchements car rien de ce qu’elle pense ou fait n’est raisonnable ou du moins justifié.
Ce roman inclassable est en fait un long poème dans lequel il est difficile de scinder fantasme et réalité mais où la nature est peinte avec magnificence, entre l’abstraction et l’impressionnisme. Tout semble beau, même l’odeur puante du coquillage mort et la teinte boueuse de l’eau, les dialogues surtout sont autant surréalistes que saugrenus, en tout cas surprenants, mais où va-t-elle chercher tout ça, et le vocabulaire concernant la nature est d’une immense variété. Sur la couverture du livre, en carton épais, de belle facture, de superbes méduses filandreuses nous en donnent un aperçu.

La palourde de Sigolène Vinson, 2023 aux éditions Tripode. 170 pages, 19 €

Texte © dominique cozette

M. Je-sais-tout- m’a fait trop rire

M. Je-sais-tout sous titré Conseils impurs d’un vieux dégueulasse est une sorte d’autofiction de John Waters, réalisateur de films scandaleux, outrés, trash, de mauvais goût qui se fout de tout avec une impertinence excessive.
Chaque chapitre évoque un thème précis et ça commence évidemment par le cinéma, les films qu’il a réalisés, les anecdotes qui s’y rattachent, les acteurs/trices et tout ce qu’il faut savoir sur eux et qui est en général très drôle mais jamais méchant, car JW n’est pas un sale type et est plutôt reconnaissant à certains êtres malveillants d’avoir permis son succès. Il parle de son enfance, de ses parents, des disques et chansons de sa jeunesse, et il s’y connaît le bougre, c’est fou ce qu’il cite comme chanteurs et groupes de toutes sortes (dont je n’ai jamais entendu parler, à part Tab Hunter).
Il évoque la littérature et s’y connaît quelque peu, citant beaucoup d’auteurs français, même la Despentes y reçoit ses honneurs, Genêt, beaucoup d’autres. Il expose aussi sa préférence sexuelle, tout le monde sait qu’il est « pédé » mais il abonde sur ce qu’il apprécie, et alors ? Hé bien il est plutôt prude et classique.
Ce bouquin est une somme, l’important n’est pas seulement tous les sujets qu’il aborde (la bouffe, l’architecture, la mort dont la future sienne, un grand chapitre sur la dope car il a tout essayé, les peintres chimpanzés, le sida forcément, la mort de Divine, son acteur fétiche, les débuts de Johnny Depp dans Cry-Baby…) mais sa façon d’écrire, drolatique, généreuse, sans états d’âme, très très libre. Comme c’est classifié par sujet, on peut le poser, le reprendre, le laisser mariner, moi je l’ai lu d’une traite car j’étais trop contente de m’y plonger le soir après une journée harassante (je plaisante).
Quelques citations piquées chez Babelio :
« L’année dernière, quand j’ai été décoré par l’Ordre des Arts et des Lettres sur décision du ministère français de la Culture, j’étais très honoré, mais surtout soulagé qu’aucun de mes anciens producteurs ne se soit incrusté à la cérémonie pour essayer de me voler ma médaille en compensation de ses pertes. »
« Mes tout premiers films en 8 mm qui n’ont jamais bénéficié d’une réelle sortie ont même intégré les collections du MoMA, et, la vache, sept des livres que j’ai écrits continuent à se vendre et deux d’entre eux figurent dans les meilleures ventes du New York Times. Comment est-ce possible ? Comment ? »
Tout est terriblement joyeux. Mais je n’ai pas envie de lire sa dernière fiction Sale Menteuse, ça m’a l’air bien moins drôle que les élucubrations et facéties réelles qui ont rempli sa vie. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir encore plein de projets, à plus de 72 ans, âge de l’écriture du livre.

M. Je-sais-tout, Conseils impurs d’un vieux dégueulasse de John Waters, traduit par Laure Manceau (Mr Know-it-all, the tarnished wisdom of a filth elder, 2019) 2021 chez Actes Sud, en poche chez Babel , 490 pages, 10,90 €.

Texte © dominique cozette

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