Allô Doudou bobo !

Petite référence à la Souche pour ce nouveau livre d’Edouard Louis que sa maman a peut-être surnommé Doudou dans l’enfance. En tout cas, elle l’appelle un soir au secours car elle n’en peut plus de l’homme avec qui elle habite. Le livre s’appelle Monique s’évade et c’est bien de cela qu’il va s’agir. L’écrivain est alors en résidence en Grèce quand survient ce coup de fil inquiétant, sa mère est en danger car le mec est violent quand il est bourré et il l’est tout le temps.
Pourtant, tout avait bien commencé. Monique, la mère d’Edouard Louis donc, avait viré son mari, le père d’icelui, assez brutalement puis était venue vivre à Paris, histoire racontée par le fils, tout allait bien, elle avait même rencontré Catherine Deneuve, elle qui sortait d’un trou à rat. Hélas, ce nouveau compagnon peu à peu devient un tel cauchemar et une telle menace qu’il faut agir vite. Alors le fils appelle ses amis à Paris et ce sont eux qui vont aider la dame, l’accueillir, l’installer dans l’appartement de son fils, lui acheter des provisions et lui prêter de l’argent. Puis Edouard Louis va téléguider, par téléphone, la suite des événements, c’est difficile et stressant. Il faut aussi qu’il demande de l’aide à sa sœur avec qui est fâché depuis dix ans, mais les choses se font…
Plein de petits détails sur la vie de la maman nous sont narrés, ses goûts, ses teintures, ses désirs. Et puis surtout, et ça n’est pas rien, il la décrit quand elle devient l’héroïne de sa propre histoire (celle où elle se métamorphose) sur une scène de théâtre et qu’elle monte sur scène où elle est acclamée. Quelle revanche !
L’histoire n’est pas banale, certes, l’écrivain se montre sous le jour du bon fils, revient sur toutes les critiques qu’il avait émises sur sa mère, sa violence notamment dans Eddie Bellegueule, explique pourquoi elle ne pouvait qu’être ainsi face à la violence du mari, de leur pauvreté et de leur croupissement dans leur trou du nord où aucun espoir d’amélioration ne pouvait s’envisager.
C’est un court récit un peu paresseux (je trouve), pas très creusé car apparemment l’écrivain était sur un autre projet (son frère) mais malgré tout suffisamment intéressant « sociologiquement » pour que les médias en parlent avec enthousiasme. Les problèmes de transfuges de classe, ils aiment bien, les médias actuellement. Mais c’est bien quand même, si, si…

Monique s’évade d’Edouard Louis. 2024 aux éditions du Seuil. 170 pages, 18 €

texte © dominique cozette

Journal d’un vide

Dans ce livre, Journal d’un vide, madame Shibata est une trentenaire employée dans une entreprise de contrôle de tubes en carton. C’est d’autant moins passionnant comme job qu’étant la seule femme de toute l’équipe, c’est à elle qu’incombent les tâches dites féminines dans les sociétés machos comme le Japon : rangement des salles de réunion, café à faire, à servir, à débarrasser etc. Un jour, elle en a marre, la vision et l’odeur de mégots dans un fond de café l’écœurent, alors, pour couper court à cette corvée, elle déclare qu’elle est enceinte et que cela lui donne des nausées.
Elle n’est pas enceinte, elle vit seule, n’a pas de liaison. Elle travaille face à un employé comme elle qui ne cesse de l’observer, de la scruter.
Elle tient bon. Du coup, elle accède aux privilèges réservés à son état : quitter tôt, être respectée, ne plus accepter certaines tâches. Elle découvre les heures de pointe de l’après-midi mais aussi le plaisir de trouver encore des produits frais au super market et d’avoir le temps de cuisiner, et même de prendre des cours de gym prénatale.
Il lui faut adapter son physique au mensonge. Ça commence par des tissus enroulés sur son ventre puis, comme elle mange beaucoup et qu’elle grossit, elle s’en passe. C’est un peu là où le bât blesse, ainsi que la séance d’échographie. Tout ça manque un peu d’explications crédibles. La fin est un peu schématique aussi. Certes, ce n’est pas un chef d’œuvre mais l’intérêt de cette fable est de nous faire découvrir le monde du travail au Japon où la femme a encore fort à faire pour une certaine égalité…

Journal d’un vide d’Emi Yagi, 2020. Traduit par Mathilde Tamae-Bouhon. Aux éditions de poche 10/18. 212 pages, 8,60 €.

Texte © dominique cozette

Et nos yeux doivent accueillir l’aurore

Drôle de titre pour ce livre de Sigrid Nunez, qui est extrait de la chanson Restless Farewell de Bob Dylan, morceau fétiche des deux héroïnes. Rien à voir avec le titre anglais The last of her kind (la dernière de son espèce). Et nos yeux doivent accueillir l’aurore est, outre une histoire des mœurs américaines des années 70 aux années 90, celle de deux amies qui se sont rencontrées sur le campus d’une petite université. La narratrice, George (pour Georgette) a fui son milieu familial moche, violent, ennuyeux, et sa copine de chambre, Ann, a fait de même pour des raisons opposées : elle ne veut plus de la vie de luxe de ses parents, leur héritage culturel foireux et cette fortune créée sans aucun doute sur le dos de l’esclavage. Totalement radicalisée, elle souhaite même avoir une copine pauvre et pourquoi pas noire ?
La suite, une fois n’est pas coutume, je la vole à Babelio car j’ai la flemme d’éplucher la densité de ce roman :
« Au travers de la relation d’amitié chaotique entre Georgette et Ann, c’est l’histoire récente des USA qui nous est racontée : du vent de liberté apporté par les années 60 au puritanisme des années 90 en passant par Woodstock, les hippies, les mouvements pour les droits civiques, les Black Panthers et le Weatherman, l’apparition du sida. Georgette, narratrice, nous montre le contraste entre une époque de libertés et d’expériences en tous genres (sexe, drogues), de luttes et de convictions, et celle qui, à peine deux ou trois décennies plus tard, apparaît tout aussi précaire mais beaucoup plus dure, étriquée, dangereuse. Avec cette question paradoxale : pourquoi, comment est-on passé de l’une à l’autre ? »
« Voici quelques uns des thèmes intéressants dans ce roman : féminisme, militantisme, hippie, anti-racisme, drogues, inégalités, « sex, drug and rock’n roll ». D’autant que ces sujets sont traités de façon originale et décalée. Le point de vue d’Ann, la jeune fille de bonne famille, riche, trop empathique, se confronte à celui de Georgette, issue d’un milieu très défavorisé qui cherche à s’élever socialement, et enfin à celui de Solange, la fugueuse junkie bipolaire qui a décidé de « vivre à fond »… le tout saupoudré de nombreuses références, souvent intelligentes, toujours documentées. Avec parfois des longueurs (particulièrement un épisode de trip entre sœurs ou le récit carcéral de fin d’ouvrage). »
Mais malgré tout, il y a beaucoup à piocher dans ce livre plein d’idées, de références, d’anecdotes et même d’un résumé de la vie de Simone Weil, la philosophe.

Et nos yeux doivent accueillir l’aurore de Sigrid Nunez (2005 aux USA, 2014 en France). Traduit par Sylvie Schneitter. Au Livre de Poche. 540 pages, 9,70 €

© partiel dominique cozette

Fabriquer une femme

C’est le dernier livre de Marie Darrieussecq, une autrice qui ne me passionne pas toujours. Dans Fabriquer une femme, elle reprend les deux filles qu’elle nous avait présentées dans d’autres romans (que je n’ai pas lus), Rose et Solange, habitant un bled nommé Clèves où elle a déjà situé ses histoires. Ces deux ados, les meilleures amies du monde, habitant l’une en face de l’autre, commencent à diverger à l’âge de quinze ans. Car à quinze ans Solange accouche très très douloureusement d’un môme dont elle ne voudra pas, dont elle ne sait pas trop qui est le père. C’est la cata. Rose, elle, continue son petit bonhomme de chemin, sage, studieuse et commence à se dévergonder gentiment lorsqu’elle va étudier « en ville ». Elle découvre l’alcool, les fêtes, le sexe.
Ce qui est marrant dans ce livre, c’est qu’il nous est raconté par les deux bouts de la lorgnette, d’après Rose, puis d’après Solange. Ce ne sont pas les mêmes sons de cloche, bien sûr. L’une fait ses études, retrouve ses parents le week-end, une famille solide, aide ses voisins etc. Le garçon dont elle est tombée amoureuse très jeune deviendra son amoureux officiel et aura le droit de passer ses après-midi dans la chambre de la jeune fille, porte fermée. Tous deux sont à la découverte de leurs corps et de leurs émois, inexpérimentés, hélas pour leurs premières expériences fatalement décevantes. Mais elle l’aime, c’est réciproque et elle sait qu’il sera son mari et le père de ses enfants.
Solange quant à elle vit mal sa vie de famille qui n’est pas une bonne famille. Elle abandonne le bébé à sa mère qui l’a prénommé Thierry, aïe, en souvenir d’un bébé qui est mort avant Solange. Pour Solange, la vie, c’est le théâtre, le cinéma, la télé, séduire, vivre à la marge. Ce trajet l’emmènera jusqu’à Hollywood (via Londres) où elle peut enfin briller. Enfin pas toujours. Elle gagne super bien sa vie mais est-elle heureuse ?
Elles se reverront plus tard, adultes, dans la grande métropole californienne, lors d’une première où toute la famille de Rose est invitée ainsi que les parents de Solange et son fils, grand ado handicapé mental. Car le film doit consacrer Solange. Mais mais mais…
Ce livre est distrayant, Marie manie la plume avec talent mais je trouve que tout ceci manque de sincérité. Je veux dire que c’est un peu clinquant, on cite des noms de lieux, de people, on peut même coucher avec… j’ai eu l’impression que MD nous faisait faire une visite guidée dans années 80-90. Avec Internet, ces intrusions dans le passé sont devenues courantes, précises et faciles. A part ça, comme je l’ai dit, ça se lit bien, que demander de plus ?

Fabriquer une femme de Darrieussecq, 2024 chez P.O.L. 334 pages, 21 €

Texte © dominique cozette

Retrouver l’assassin de sa sœur

Ce livre de rage et d’amour s’intitule L’Invincible été de Liliana et a été écrit par la sœur de Liliana, Cristina Reverza Garza, trente ans après son l’assassinat par son « petit ami », harceleur qu’elle avait décidé de quitter. Ça se passait au Mexique, l’un des pays les plus violents pour les femmes, où les féminicides ne se comptent plus.
Trente ans après donc, Cristina tente de faire rouvrir le procès et retrouver l’assassin qui a pris la fuite après le meurtre par étouffement. Certes, il n’est pas facile de retrouver tous les proches de la jeune femme, morte à vingt ans en 1990, étudiante brillante en architecture, grande, sportive, libre, curieuse, drôle, appréciée de tous et qui avait pour projet de continuer son cursus à Londres l’année suivante. Cristina s’est acharnée à rencontrer toutes ces personnes et surtout à décrypter dans la myriade de notes, dessins, mots, archives de toutes sortes jamais datées, l’historique de la jeune vie de Liliana. On se rend compte de par son vocabulaire et ses poésies qu’elle cogitait intelligemment, se posant de bonnes questions sur la vie et les relations humaines. Et surtout qu’elle ne se voyait pas s’installer avec le jeune hommes qu’elle fuyait souvent mais avec qui elle se réconciliait souvent aussi. Personne de son entourage, ni même sa sœur qui faisait ses études aux Etats-Unis n’était au courant de la relation toxique du gars, de sa brutalité et de sa violence, elle gardait ça pour elle, elle ne s’est jamais plainte. Même si parfois, cela rejaillissait sur son humeur ou sa peau.
Mais c’est bien lui qui s’est introduit dans son bout d’appartement en coloc cette nuit-là, très discrètement, et qui a étouffé sous un oreiller celle dont il refusait la rupture. Chanson connue, pourtant.
Le plus dur, pour les parents, c’est qu’ils étaient partis plusieurs mois en voyage pour clore agréablement leur vie de labeur par un long périple aux quatre coins de l’Europe, leur superbe récompense. Ils étaient injoignables… Les obsèques ont été célébrées sans eux, ils ont appris cette immense tragédie à leur retour au village.
C’est un livre plein d’amour pour une jeune femme qui promettait, comme on dit, dont l’avenir semblait radieux. Et plein de rage aussi contre non seulement l’assassin mais aussi le système patriarcal dans son ensemble qui perpétue les crimes fats aux femmes.

L’Invincible été de Liliana de Cristina Reverza Garza, traduit par Lise Belperron. 2024 aux éditions Globe. 392 pages, 23 €.

texte © dominique cozette

Ah les mères toxiques !

Jeannette McCurdy raconte son histoire. Génial, ma mère est morte est ce qui lui est arrivé depuis qu’elle est petite fille et que sa mère a décidé d’en faire une vedette du petit écran. Leur vie, alors, est assez pourrie. Le père est d’un pénible épouvantable, les frères oui bof et la maison est carrément une déchetterie. Tout s’y empile, s’y entasse, les différentes pièces sont emplies jusqu’à la garde de saletés à tel point que les chambres d’enfants ne peuvent plus servir. Alors chaque soir, ils déplient des espèces de matelas, des futons peut-être, sur le parquet du « salon » (du salaud, oui). Horreur. Les factures ne sont jamais honorées, c’est l’enfer.
C’est là que la mère a une idée lumineuse. Puisque sa fille Jeannette, qu’elle adore et qui l’adore, est mignonne, pourquoi ne pas en faire une mini-vedette des séries enfantines ? Alors, la machine se met en route. De casting en casting (lever à cinq heure du matin) de cours de maintien en conseils de comportement pour se faire aimer des agents, la petite affronte le monde terrible du show-business sans aucun plaisir. Elle déteste. Mais elle aime tellement sa maman qu’elle lui obéira aveuglément pendant de nombreuses années (sa mère continuera à la doucher jusqu’à l’âge de seize ans. Pour mieux la contrôler, bien sûr).
Et ça marche, même si le vedettariat est un peu long à démarrer. Grâce à la petite qui commence à faire son trou, l’argent rentre chaque mois, c’est formidable.
Mais aïe, à onze ans, des petits seins pointent. Ah, non, pas de ça Jeannette ! Tu es une enfant vedette, tu dois rester une enfant. Le fait qu’elle soit un petit modèle arrange déjà bien les choses, mais il faut empêcher les hormones d’entreprendre leur travail de sape. Alors hop ! Régime draconien. Et quand je dis régime, je dis famine. L’anorexie s’annonce sans que la fillette s’en émeuve. Elle est contente de déguster sa feuille de salade puisque c’est sa mère qui le lui demande. Jusqu’au jour où elle découvrira que vomir, c’est aussi une bonne solution. Donc boulimie.
En même temps, sa mère souffre d’un cancer du sein, il ne s’agit pas de la mécontenter. L’amour de la gamine déborde de partout, pauvre gamine. Mais la mère ne meurt pas encore, elle s’en sort, s’y remet avec rage, elle tutoie tous les importants, les paparazzi sont ses potes, elle fait le buzz pour qu’on parle de sa fille et la gloire arrive suivie de toutes ses odeurs de rance.
C’est un livre extrêmement bien conçu car évidemment, on prend parti pour la môme qui raconte bien et qui se moque d’elle-même. C’est frais, désespérant et très drôle. Les courts chapitres traitent chacun d’un thème important au royaume des mini-stars et des bêtes d’Hollywood, on comprend comment les choses se trament, on y voit la douleur, les sacrifices, les désillusions et bien souvent les addictions avec tous les produits auxquels les victimes s’accrochent pour se consoler d’être autant exploitées. La déglingue, l’alcool, la dope, le sexe sont entrés dans la vie de la jeune star, qui dépérit de mal-être, de désespoir, de honte et de dégout d’elle-même, merci maman. Qui finira par mourir. Mais pour autant restera le grand amour de sa fille, même si elle apprend, par des cures, qu’elle a fait preuve d’une profonde maltraitance à l’égard de sa fille.
Ce n’est pas un livre glauque, la jeune femme a su faire de son histoire le fond de commerce hilarant de ses spectacles qui sont très appréciés.

Génial, ma mère est morte de Jeannette McCurdy (I’m glad my mum died, 2022), traduit par Corinne Daniello, livre dédié à ses trois frères cités. Edition JC Lattès, 2024. 396 pages, 22,50€.

Texte © dominique cozette


Amours et autres obsessions

Ce n’est pas le livre de la décennie ni le meilleur des Moriarty, cette fameuse écrivaine australienne qui dissèque les liens entre humains principalement ceux liés aux relations amoureuses, mais Amours et autres obsessions m’a aidé à remplir quelques nuits blanchâtres et c’est déjà pas mal. C’est longuet à souhait, plein de digressions et d’explications, mais c’est aussi ce qui fait le charme des livres un peu épais qu’on a plaisir à retrouver.
L’histoire est assez simple : Patrick Scott vit avec son petit garçon de huit ans depuis la mort de sa femme chérie, victime d’un cancer fulgurant quand le petit avait trois ans. Ce dernier ne se souvient pas d’elle, bien sûr. Au début du livre, on se trouve au cabinet d’Ellen, hypnothérapeute, trentenaire, vivant seule et rêvant de l’amour qui dure. Sa mère l’a fabriquée avec un amant éphémère qui cochait toutes les bonnes cases du géniteur idéal, avant de vivre avec deux copines, les marraines d’Ellen. Elle rencontre Patrick sur un réseau, ce n’est pas le coup de foudre immédiat d’autant plus qu’il n’est pas très à l’aise car il lui apprend qu’il est harcelé par son ex (la seule à dire « je » dans le livre) qui le suit partout, lui envoie des textos, des fleurs etc. Cette femme a servi d’objet transitionnel à Patrick et s’est formidablement bien occupée de son gamin, lui en étant incapable. Pour le gamin, c’était sa maman. Ça se passait super bien, la famille de l’épouse décédée l’avait même adoptée. Jusqu’au jour où Patrick l’a jetée sans état d’âme, sans réelle explication, sans lui donner le temps de s’organiser et de dire au revoir au gosse. Et sans l’autoriser à le revoir.
C’est pourquoi elle continuera à lui faire payer cette injuste rupture, elle n’a rien fait de mal, elle a bien accepté le fait qu’il aimera toujours sa femme morte plus qu’elle… Donc pourquoi ? Et ce n’est même pas parce qu’il a rencontré Ellen.
D’ailleurs, Ellen connaît cette femme sans savoir qu’il s’agit d’elle. Ellen acceptera elle aussi les conditions de ce nouvel et bel amoureux : l’amour qu’il aura toujours pour sa femme, le gamin à élever et toutes sortes de contingences auxquelles elle devra faire face et s’accoutumer au fil du temps…
Je ne vous en dis pas plus, il y a quand même pas mal de suspense que je divulgâcherai pas.

Amours et autres obsessions par Liane Moriarty, (The hypnotist’s love story, 2011), traduit par Béatrice Taupeau, au Livre de Poche. 576 pages, 9,70€

Texte © dominique cozette

L’origine des larmes

Le plaisir intact de découvrir un nouveau roman de Jean-Paul Dubois, sans en avoir encore entendu parler (le roman se trouvait dans un carton sur le sol de la librairie de Sète) s’est de nouveau matérialisé. Quel magnifique titre que L’Origine des larmes ! Tout est magnifique dans ce livre. Le sujet est d’une originalité frappante : Paul, le héros de l’histoire comme tous les héros de Dubois, va au Canada récupérer le corps de son père qui vient de mourir à la suite d’une longue maladie. Il le rapatrie à Toulouse où il vit et, lors de la visite qu’il effectue à la morgue, il sort un pistolet et lui tire deux balles dans la tête. Ça alors !
La police en est comme deux ronds de flan. Comment qualifier cet acte ? On ne peut pas dire qu’il ait assassiné son père puisqu’il était déjà bien mort. Mais on ne peut pas non plus laisser cet acte profondément irrespectueux impuni. Alors on lui imposera une peine bien accablante pour quelqu’un qui veut extirper de sa mémoire tout ce qui concerne sa vie avec son géniteur : décortiquer leurs rapports, le pourquoi du comment, face à un psychiatre bizarre aux yeux qui pleurent, et ce une fois par mois durant un an.
Pour Paul, cela n’a rien de joyeux. On apprend comment le père lui a pourri la vie dès sa venue au monde : sa mère est morte lors de son accouchement ainsi que son frère jumeau, même pas nommé puisque mort, donc jeté aux déchets . Or, le père n’a jamais voulu parler de sa mère à l’enfant, il a détruit toute trace d’elle, ses origines, ses photos, tout. Paul ne sait rien sur elle malgré un éclat de mémoire de ce fameux jour qu’il revit parfois.
Toute l’enfance du gosse a été une torture. Par exemple, pour ses six ans, le père lui a offert un canari dont il a arraché la tête avec les dents. Je ne vous en dis pas plus. Le père s’est d’ailleurs vite remarié avec une femme belle, riche et intelligence (le bougre ne manquait pas de charme ni d’aplomb) et aimante pour l’enfant qu’elle considérait comme le sien, et surtout qui possédait une fabrique florissante de housses de cadavres dans laquelle travaille maintenant Paul, sa mère étant morte. C’est dire si Paul, depuis toujours, côtoie la mort au plus près.
C’est un livre extrêmement intéressant car chaque rencontre du psy est conditionnée par un thème sur lequel doit s’exprimer Paul, ce qui permet à l’auteur de parler de sujets tracassants ou culturels ou mythiques ou religieux… autant de prétexte à dévoiler des pans de sa culture polymorphe.
L’action se situe dans quelques années, pour montrer comment le climat est détraqué : il pleut sans arrêt, Toulouse est trempée, il n’y a pas de trêve à ces larmes de ciel. On patauge. Formidable !

L’origine des larmes de Jean-Paul Dubois, 2024 aux Editions de l’Olivier. 250 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

Deux autres Aki Shimakazi super

Dans ce roman Fuki-no-tô de Aki Shimazaki, on retrouve le couple formé par Atsuko et Mitsui qu’on a connus dans Azami. Cette fois, ils sont installés à la campagne pour une vie harmonieuse. Ils ont de nouveau une activité intime, lui a rompu avec sa maîtresse et a suivi sa femme, amoureuse des plantes et de la campagne, dont l’entreprise potagère commence à bien marcher. Avec ce développement, elle a besoin de quelqu’un pour l’assister, à qui faire confiance. Son mari lui conseille alors une femme qui a fait sa demande par téléphone.
Il se trouve que cette femme est une ancienne et très chère amie de classe d’Atsuko, elles s’étaient perdues de vue depuis le mariage de celle-ci. C’est une très belle femme, très féminine, et la mère d’Atsuko demande à sa fille de se méfier de cette femme sur laquelle convergent tous les regards masculins quand ils sont en public. Mais ce n’est peut-être pas là que le bât blesse…

Fuki-no-tô de Aki Shimazaki, 2018, chez Babel. 132 pages, 7,30 €

Cet opus, Suisen, de la série l’Ombre du Chardon, m’a moins intéressée que les autres. Ici, l’autrice nous parle d’un riche possesseur d’un commerce d’alcool qu’on a entrevu aussi dans Azami. C’est lui qui a entraîné Mitsuo dans les bars sexuels où il a revu cette amie de classe qui allait devenir sa maîtresse. Cet homme parvenu se partage entre sa femme (peu), ses enfants (peu) et ses maîtresses dont une actrice en vogue qui l’envoie paître au début du roman, et une autre très gentille qui se fout de l’argent sans compter les dîners qu’il fait dans le cadre de son entreprise, où il se goberge abondamment alors que c’est sa belle-mère qui fait marcher l’affaire, lui n’est qu’un profiteur feignasse. Il pense que sa vie est passionnante et réussie et lorsque belle-mère le convoque à une réunion importante, il imagine qu’elle va enfin lui céder ses actions et qu’il sera le seul décisionnaire de la boîte. Mais mais mais…

NB : le premier que j’ai lu, Hozuki, est celui que je préfère mais je l’ai lu il y a quelques temps et n’ai pas écrit d’article.

Suisen de Aki Shimazaki, 2017, chez Babel. 128 pages, 7,30 €

Texte © dominique cozette

Deux Aki Shimazaki extras

Aki Shimazaki est une écrivaine née au Japon et qui vit à Montréal depuis 1991. Elle écrit en français mais dans le plus pur style japonais, concis, lumineux, poétique et très factuel. Son originalité est qu’elle crée des cycles romanesques dans chacun desquels elle plusieurs romans.
Ici, je vous parle du cycle L’Ombre du Chardon. J’avais lu un premier roman intitulé Hozuki. En lisant Maïmaï, je crois que je relis le même livre car j’y reconnais Tarô, le héros devenu jeune homme qui était un enfant sourd-muet, ainsi que certaines autres personnes. Mais c’est bien un nouveau roman qui raconte, cette fois, une suite mais sous un autre prisme, un autre point de vue, un autre moment, avec quelques autres intervenants.
Tarô apprend la mort de sa mère et découvre surtout bien des secrets sur sa vie qu’elle ne voulait pas faire connaître. Sa grand-mère, mère de la mère, lui propose d’habiter avec elle, ce qui lui plaît beaucoup car ils ont une grande affection l’un pour l’autre. Ils liquident la librairie de livres rares et recherchés que tenait la mère, très réputée par les hommes de culture, pour permettre à Tarô d’y faire son atelier de peinture-galerie. On reparle de ses origines : un père espagnol disparu dans un accident, ce qui explique qu’il est métis, guère apprécié dans la petite bourgeoisie. Il fréquente une jeune femme qui aimerait l’épouser mais il n’est pas très chaud pour vivre avec elle. De plus, elle ne parle pas le langage des signes.
Et voici, surprise !, la petite fille avec qui il jouait et dessinait quand il était gosse. Ils s’entendaient tellement …Hélas, ils avaient été séparés car le père de la fillette, ambassadeur, avait été nommé en Europe. Elle l’a retrouvé malgré toutes ces années et des ondes très fortes se développent tout de suite entre eux deux. Elle vient dormir avec lui, elle est vierge, ils se fiancent et elle décide de le présenter à ses parents. Le père apprécie l’esprit du garçon mais la mère va tout faire pour empêcher ce mariage, ce qui étonnant vu qu’elle adorait ce petit garçon.
Ce livre est le dernier du cycle mais tous peuvent se lire indépendamment.

Maïmaï par Aki Shimazaki, 2019, chez Actes Sud puis Babel. 160 pages, 7,30 €

Azami est le premier roman du cycle. Mitsuo est rédacteur culturel, marié par mariage arrangé, deux enfants. Il s’entend très bien avec sa femme mais depuis la naissance des enfants, ils sont devenus sexless. Ça ne le dérange pas tant que ça, il va faire exulter son corps dans des pink-salons. Un soir, il est accosté par un copain d’école qui s’est enrichi dans une grosse boîte qui produit de l’alcool. Cet homme a l’habitude de passer ses soirées au bar X, un endroit pour hommes où les belles entraîneuses sont hors de prix. Mitsuo est éberlué lorsqu’il voit la superbe Mitsuki, maquillée comme un passeport volé exercer son talent auprès de messieurs importants. Elle fut, sans le savoir, son grand amour d’adolescence. Elle est aussi barmaid ordinaire, nature, dans un petit établissement où il fait mine de la retrouver par hasard. Une relation ne noue entre eux, clandestinement. Il est de plus en plus amoureux d’elle. De son côté, sa femme s’est installée à la campagne où ils ont une maison et a monté une petite entreprise de plantes qu’elle cultive elle-même et qui commence à marcher.
Mais un grain de sable grippe la machine d’amour de Mitsuo. Il se voit contraint de quitter Mitsuko et son travail. On apprend alors que Mitsuko est la maman d’un petit garçon métis sourd-muet, qu’elle était d’une rare culture, collectionneuse de livres scientifiques et rares.

Azami par Aki Shimazaki, 2015 chez Actes Sud puis Babel. 120 pages, 7,30 €

Texte © dominique cozette

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